Deux études éclairent l'histoire des premiers hommes modernes
Deux études publiées jeudi éclairent l'histoire des premiers hommes modernes et celle de leur métissage avec les Néandertaliens sur la route de leur migration de l'Afrique vers l'Eurasie, plus récent qu'on ne le pensait.
Une équipe internationale dirigée par des chercheurs de l'Institut Max Planck d'Anthropologie évolutionnaire à Leipzig (Allemagne) est parvenue à séquencer les plus anciens génomes humains modernes à ce jour, appartenant à sept individus ayant vécu entre 42.000 et 49.000 ans avant notre ère.
L'un d'eux - un crâne complet de femme - provient du site archéologique de Zlatý Kůň (République tchèque). Les six autres vivaient à environ 230 kilomètres de là, dans la grotte d'Ilsenhöle à Ranis (Allemagne).
L'analyse de leur génome, publiée jeudi dans Nature, apporte de précieuses informations sur ces pionniers - à peine quelques centaines d'individus - qui peuplaient un vaste territoire s'étendant de la Grande-Bretagne à la Pologne et dont la lignée est aujourd'hui éteinte.
Première surprise, "les individus de Ranis et de Zlatý Kůň constituent les premiers membres connus d'une famille humaine moderne, d'un point de vue génétique", a expliqué lors d'un point presse Arev Sümer, première autrice de l'étude.
A Ranis, les chercheurs ont identifié trois hommes et trois femmes, dont une mère et sa fille. Un autre individu était lié au deuxième ou troisième degré avec la mère. Plus étonnant encore, le crâne retrouvé à Zlatý Kůň est aussi un parent au cinquième ou sixième degré, peut-être "une lointaine cousine ou une arrière-arrière-grand-mère".
- 2 à 3% d'ADN néandertalien -
Les variantes génétiques ont aussi délivré des indices sur leur apparence, suggérant "une pigmentation de peau et des yeux foncés, ainsi que des cheveux bruns, comme on pouvait s'y attendre pour des populations venant de quitter l'Afrique", note Mme Sümer.
Surtout, les chasseurs-cueilleurs de Ranis-Zlatý Kůň portent dans leurs gènes la trace d'un seul mélange avec les Néandertaliens, qui peuplaient l'Europe et l'Asie occidentale depuis des centaines de milliers d'années au moment où l'homme moderne y a migré.
Ce qui a permis à l'équipe d'estimer la date de ce métissage originel, qui constitue un élément clé de notre histoire. Car aujourd'hui encore, toutes les populations non-africaines ont dans leurs gènes 2 à 3% d'ADN néandertalien, lointain héritage de ce mélange qui s'est "probablement" produit sur les routes migratoires du Proche-Orient, selon Johannes Krause, un des auteurs de l'étude.
"Nous avons calculé que cet événement avait eu lieu il y a entre 45.000 et 49.000 ans", environ 80 générations avant celle des individus de Ranis-Zlatý Kůň, "ce qui est beaucoup plus récent que ce qui était supposé auparavant", rapporte-t-il.
Leur résultat est corroboré par celui d'une autre étude, menée de façon indépendante et publiée simultanément dans la revue Science. Cette deuxième équipe a utilisé une méthode différente en comparant 300 génomes contemporains et anciens - dont 59 prélevés sur des individus ayant vécu entre 2.000 et 45.000 ans avant notre ère - à la recherche des traces du métissage avec Néandertal.
"La grande majorité du flux génétique néandertalien s'est produite au cours d'une période prolongée unique", de plusieurs centaines d'années, note Priya Moorjani, de l'Université de Berkeley (Etats-Unis). "Nous avons daté cette période entre 43.500 ans et 50.500 ans, ce qui est très cohérent avec l'estimation de l'article de Nature, ainsi qu'avec les preuves archéologiques, qui ont daté le chevauchement entre les Néandertaliens et les humains modernes en Europe".
Cette datation a des répercussions importantes sur la compréhension de notre évolution. Elle implique notamment que la migration de notre lignée depuis l'Afrique a eu lieu, au plus tard, il y a 43.500 ans.
Elle signifie également que les centaines de découvertes anthropologiques ou archéologiques hors d'Afrique attribuées à des humains modernes de plus de 50.000 ans - soit avant la rencontre avec Néandertal - ne peuvent provenir de nos ancêtres directs.
"Tous les Homo sapiens qui vivaient hors d'Afrique il y a 50.000 ans n'ont probablement pas de descendants vivants actuels", explique M. Krause, évoquant une succession d'extinctions de lignées locales et de recolonisations pour parvenir jusqu'à nous. "L'histoire humaine n'est pas seulement une histoire de succès. Nous nous sommes en fait éteints plusieurs fois", dit-il.
W. Winogradow--BTZ