Aux Etats-Unis, la satire politique partagée au premier degré alimente la désinformation
Un soutien de Donald Trump qui met le feu à sa maison en voulant brûler un drapeau LGBT+. Un think tank conservateur prônant la création d'un "passeport menstruel" pour surveiller le cycle des femmes. Infos, intox ou satires?
Partagées des milliers de fois, sans mention de leur nature satirique, ces fausses informations sorties de leur contexte inquiètent les chercheurs à moins d'un mois de la présidentielle américaine tant elles ont intégré l'arsenal de la désinformation politique en ligne.
L'organisation à but non lucratif News Literacy Project (NLP) les appelle des "satires volées". "Certaines personnes ne voient pas la blague et le prennent au premier degré", explique à l'AFP Hannah Covington, responsable au sein de cette ONG spécialisée.
Peu avant le début de la saison de football américain, des posts largement relayés indiquaient très sérieusement que l'équipe des Minnesota Vikings avait désavoué le gouverneur de cet Etat du Nord des Etats-Unis, Tim Walz, colistier de la candidate démocrate Kamala Harris.
Cette fausse information avait pourtant d'abord été publiée sur la célèbre page Facebook America's Last Line of Defense, créée par Christopher Blair et connue pour parodier l'actualité en inventant des titres tirés par les cheveux. "Rien sur cette page n'est vrai", revendiquent ses administrateurs.
- "Conforter ses préjugés" -
Pour Christopher Blair, si ces publications sont aussi partagées au premier degré c'est car celles-ci correspondent à "la vision du monde de certains qui privilégient les informations confortant leurs préjugés".
"Ils ne les partagent pas forcément parce qu'ils y croient (...) ce qui est vrai ou non n'a plus d'importance pour environ 35 millions d'Américains. Si c'est ce qu'ils veulent entendre, ils le diffuseront", déclare-t-il à l'AFP.
"Partager de la désinformation dangereuse sous forme de blagues sans conséquence" est devenu un élément clé de la bataille entre Kamala Harris et Donald Trump, affirme Casey Newton, auteur de la newsletter spécialisée Platformer, les deux camps s'en donnant à coeur joie sur les réseaux sociaux.
Une publication virale ridiculise ainsi un supporter de Trump dans l'Iowa qui aurait mis le feu à sa maison en essayant de brûler un drapeau LGBT+, les commentaires le qualifiant de "stupide" et "homophobe".
Une autre affirme que le "Project 2025", un programme ultraconservateur - notamment sur l'avortement, l'immigration ou encore le service public - confectionné par un think tank proche de Donald Trump, préconiserait la création d'un "passeport menstruel" pour surveiller les cycles ou les grossesses des femmes. La Heritage Foundation, à l'origine de ce programme, a indiqué à l'AFP que c'était "totalement faux".
Les deux posts proviennent en fait du Halfway Post, fondé par le satiriste politique Dash MacIntyre après l'élection de Donald Trump en 2016.
- "Pas ma faute" -
Ce dernier affirme que son but n'est pas de "propager des fausses informations" mais que les politiciens méritent la caricature en ces temps de "démence politique".
"Ce n'est pas ma faute si autant de gens prennent au sérieux les incidents fictifs impliquant Trump que j'imagine pour critiquer et faire la satire de son horrible personnalité", affirme-t-il à l'AFP.
"Il y aura toujours des gens crédules et trop peu informés, mais je ne pense pas pour autant que cela veuille dire que la comédie satirique n'a pas sa place" sur les réseaux sociaux, se défend-il.
Mais Hannah Covington rappelle que certains exploitent ces publications en les décontextualisant pour "transformer l'indignation en clics".
Elon Musk, propriétaire de X et soutien affiché de Donald Trump, s'est attiré les foudres de ses détracteurs pour avoir partagé une vidéo manipulée à l'aide de l'intelligence artificielle de la vice-présidente Kamala Harris affirmant qu'elle n'a "aucune idée de la manière dont on dirige un pays".
Cette fausse vidéo avait d'abord été publiée sur X avec la mention claire que c'était une parodie, mais cette mention n'a pas été reprise par le milliardaire qui compte plus de 200 millions d'abonnés.
Pour Hannah Covington, il est important que ces mentions soient gardées pour rappeler le contexte: "la plupart des plateformes n'ont pas de vraies règles" pour ce type de contenus. "Il revient donc aux utilisateurs de vérifier avant de partager."
H. Müller--BTZ