La culture des champignons fait des émules au Cameroun
Grillés en brochette, séchés ou en huile pour les cheveux: à Bafoussam, dans l'ouest du Cameroun, des agriculteurs tentent de diversifier les débouchés pour les champignons qu'ils cultivent sur des déchets agricoles.
La myciculture, ou culture des champignons comestibles, développée depuis longtemps en Occident et surtout en Chine, de loin le premier producteur mondial, est encore très peu répandue en Afrique même si elle présente l'avantage de produire de la nourriture en recyclant des déchets "propres", et gratuits ou presque.
Les Camerounais en sont particulièrement friands mais doivent attendre la saison des pluies pour les ramasser dans la nature. A Bafoussam, chef-lieu de la région de l'Ouest et troisième ville du pays, Jean-Claude Youbi y a décelé un filon, comme d'autres petits entrepreneurs à travers ce vaste pays de 28 millions d'habitants.
Des milliers de pleurotes poussent dans une salle obscure de son Groupe d'Initiatives Communes baptisé GIC Champignon, lancé avec des associés il y a quatre ans à Bafoussam. Ils sont cultivés par rangées en étagères sur des déchets agricoles conditionnés dans des sachets en plastique.
"Nous sommes dans la champignonnière de notre GIC", lance fièrement M. Youbi. "Certains, comme ceux-ci, ont dépassé la période de récolte", explique un de ses associés, Patrick Yaptieu, en écartant un tas de champignons jaunâtres au lieu du blanc habituel. Puis il place la bonne récolte du jour dans des sacs, direction la boutique du GIC, vers le centre de Bafoussam.
Là, le kilo est vendu 2.000 francs CFA (3 euros), quand il coûte jusqu'à 3.500 à Yaoundé, la capitale, ou Douala la capitale économique.
- Rafles de maïs -
Difficile de se faire une idée de l'étendue et du poids de la filière car il n'existe pas de données officielles nationales sur cette production et sa consommation.
D'incessants va-et-vient rythment la vie du GIC Champignon. Dans une petite pièce, deux jeunes stagiaires remuent à la pelle un tas de résidus agricoles.
Pour cette culture hors-sol, "nous avons mélangé les rafles de maïs (le rachis de l'épi) avec des éléments nutritifs comme de la farine de son et de blé, et du sang de bœuf", explique Brice Nono Djomo, responsable de production. "Nous y avons ajouté un fongicide pour éviter les mauvais champignons", ajoute-t-il, assurant que ses effets s'estompent au bout de deux semaines, bien avant la pousse des champignons.
Une fois le mélange fait, ce substrat est stérilisé, placé dans des fûts et chauffé au feu de bois. Puis refroidi et réparti dans des sachets. Après l'introduction de la semence, les sachets sont disposés dans la champignonnière. Il faudra attendre 30 jours pour voir apparaître les premiers pieds.
"J'ai été étonné de découvrir cette manière de cultiver les champignons", s'émerveille Junior Leogip, 12 ans. Cet élève de 6e met à profit ses vacances scolaires pour un stage au GIC Champignon. "J'ai appris à apprêter le substrat... Je veux tout connaître", assure l'adolescent en se jurant d'intégrer une école d'agriculture après son baccalauréat. "Mon ambition est de lancer ma propre production et d'être autonome", lance Léa Tona, une autre stagiaire venue de Yaoundé.
- "Whisky de champignon" -
Tous les trois mois, durée d'une campagne de culture, ce GIC de Bafoussam produit 300 à 400 kg de champignons dont 80% sont vendus directement aux consommateurs et le reste transformé en huiles corporelles ou pour cheveux, en savon, en jus et même en une liqueur que M. Youbi présente comme du "whisky de champignon".
Dans un petit laboratoire de son GIC, il broie une partie de la récolte dans un mixeur pour obtenir un jus qui sera associé à d'autres éléments pour ces produits dérivés.
"Pour les huiles de beauté, nous pouvons ajouter de la bave d'escargot et un parfum pour donner une odeur agréable", avance-t-il sans révéler ses secrets: "nous sommes dans une phase de promotion. Pour l'huile des cheveux, nous offrons des boîtes à certaines coiffeuses pour qu'elles les expérimentent".
"Ça assouplit les cheveux et les fait repousser, ça traite les pellicules, les casses de cheveux", explique Josiane Sogo dans son salon de coiffure.
Mais certains préfèrent les déguster. "Je suis un très grand consommateur de champignons surtout pour ses vertus. C'est une viande végétale qui m'éloigne de plusieurs dangers", avance Barthélémy Tchoumtchoua en enfournant une brochette de son met favori riche en protéines et en vitamines B2, B3, B5 et D. Et grâce à la myciculture, "on peut en manger toute l'année", s'enthousiasme-t-il.
A. Bogdanow--BTZ