Australie: à la veille des élections, les victimes des inondations se sentent oubliées
Karey Patterson se souvient très clairement du moment où il se demandait combien de temps il arriverait à maintenir la tête de sa fille hors de l'eau, alors que les inondations dévastaient la côte est de l'Australie en février et que les crues envahissaient sa maison.
"C'était comme dans un film catastrophe, mais j'étais dedans", raconte-t-il à l'AFP, se tenant dans la carcasse éventrée de sa maison de Lismore.
Après les pires inondations de son histoire, la ville a vu se presser les journalistes, les responsables politiques, dont le Premier ministre et le chef de l'opposition, et les promesses d'aides.
Trois mois plus tard, l'eau a reflué et l'attention nationale avec elle.
Dans un des pays les plus riches au monde, 1.500 personnes vivent encore dans des logements d'urgence. Mais, à la veille des élections législatives samedi, leurs difficultés sont à peine évoquées dans la campagne.
Les statistiques ignorent aussi les nombreux habitants qui ont trouvé un refuge chez des amis, se sont installés dans une caravane ou campent dans les ruines de leur domicile.
"J'ai l'impression que nous avons été oubliés", soupire Bec Barker, qui vit avec son mari dans une petite caravane à l'arrière de la maison qu'ils avaient mis dix ans à rénover.
"Je ne pense pas que les gens réalisent que nous n'avons pas de maison où revenir, nous n'avons plus de meuble, nous n'avons rien", ajoute-t-elle.
Elle pensait passer ses vieux jours dans cette maison, mais en lutte avec les assurances et inéligible aux subventions, elle ne s'imagine plus s'y réinstaller.
- "Ils paniquent au son de la pluie"
La faible place du changement climatique dans la campagne laisse par ailleurs augurer de ce que bien d'autres Australiens risquent d'être victimes de nouvelles sécheresses, incendies et inondations.
Le soir, le centre de Lismore, autrefois très vivant, est désormais plongé dans la quasi obscurité, les habitations et les commerces restant vides.
A la lumière du jour, les dégâts sont encore bien visibles. Des maisons condamnées, fragilisées par les crues, attendent leur démolition. Dans les arbres restent piégés du plastique, des chaises et des photos de famille.
Les riverains font la queue pour obtenir des produits de première nécessité, distribués par des associations.
De nombreux habitants sont "dans les limbes" depuis des mois, grogne Rahima Jackson, habitante de Lismore.
"Les gens ici sont vraiment en colère parce que chaque réponse est trop lente", explique-t-elle.
Elle raconte aujourd'hui le stress qui envahit les habitants: "Je connais beaucoup de personnes qui ont des accès de panique au son de la pluie".
A ce jour, le gouvernement local a payé un peu moins d'un cinquième des 38.037 demandes d'aides reçues de la part de particuliers ou d'entreprises.
Comme beaucoup de victimes, Ron Maher, 77 ans, a été déclaré inéligible aux aides, parce que sa retraite est sa principale source de revenus, et non sa ferme.
"Ca me rend un peu amer. Ou plus exactement, déçu", dit-il.
- 500.000 maisons inassurables -
Autre pierre d'achoppement: les assurances.
A l'horizon 2030, près de 500.000 maisons en Australie ne seront pas assurables, car trop exposées aux inondations, aux feux de forêt et aux vents, selon l'association Climate Council.
Avant même la catastrophe de février, de nombreux habitants de Lismore ne pouvaient plus se permettre une assurance inondations.
La scientifique de la mer Hanabeth Luke se présente aux élections pour redresser cette situation avec un programme axé sur le climat.
Survivante des attentats de Bali en 2002, elle a acquis le surnom d'"Ange de Bali" après avoir été photographiée portant un jeune homme hors des décombres du Sari Club.
Elle assure que les inondations ont été un "écho" de cette tragédie qui a tué son premier amour.
Elle appelle à "faire confiance à ce que la science nous dit" et à "agir maintenant sur le climat".
Malgré la montée des eaux de 14 mètres, Karey Patterson, sa fille de 8 ans et ses deux fils ont survécu.
Il est parvenu à percer le plafond en bois avec un haltère avant que l'eau n'atteigne le toit.
Un ami a ramé pendant des heures dans son kayak pour venir sauver la famille.
Aujourd'hui, M. Patterson dort sur le canapé de son ami, avec une seule certitude quant à son avenir: "Je ne retournerai pas vivre dans cette maison".
F. Dumont--BTZ