Les télé-docteurs cherchent à établir leur crédibilité médicale
Comment poser des diagnostics en téléconsultation ? Deux ouvrages récents écrits par des télé-docteurs tentent de répondre à une question qui laisse encore sceptiques bon nombre de médecins.
La téléconsultation est "un nouvel exercice, non théorisé, non enseigné, sans études de pratiques", et la communauté médicale "est divisée" à son sujet, explique la docteure Ségolène Puechlong, coordonnatrice du "Manuel de télésémiologie" que vient de publier la plateforme de téléconsultations Livi.
"Dans le manuel, nous étudions de façon descriptive et méticuleuse cette pratique nouvelle, pour qu'elle soit soumise à expérimentation" et discussion entre médecins, ajoute-t-elle.
Un ouvrage comme le "Manuel de télésémiologie" n'est "qu'une première pierre, c'est une évidence", estime la docteure Puechlong.
"Il est vraisemblable qu'une partie sera modifiée, complétée, voire retirée" au fur et à mesure que les études et expérimentations se poursuivront, reconnait-elle.
La docteure Marion Lagneau, co-autrice avec la docteure Anne-Sylvie Poisson-Salomon de "Téléconsultation: de l'interrogatoire à la décision clinique" (Vuibert) constate aussi les réticences de nombreux médecins.
Traumatisés par l'épisode Covid, qui les a contraints à consulter à distance sans y être préparés, beaucoup de praticiens continuent d'estimer indispensable "d'avoir le patient en face de soi", explique-t-elle.
Pourtant, les deux médecins-auteurs en sont persuadés, il est souvent possible de faire à distance des consultations aussi solides sur le plan médical que celles réalisées en présentiel.
"J'ai fait beaucoup d'années de télémédecine en gastroentérologie, où les médecins n'arrêtent pas de dire que l'examen clinique est indispensable, et je ne suis pas d'accord: on peut parfaitement faire de la très bonne gastroentérologie sans examiner directement le patient", avance la docteure Lagneau.
Les tenants de la téléconsultation rappellent qu'en médecine, l'interrogatoire du patient - qui peut se faire sans problème à distance - joue un rôle fondamental dans le diagnostic.
"Selon les études scientifiques, l'interrogatoire permet d'établir le diagnostic dans 70 à 80% des cas", estime le docteur Lagneau.
- Autopalpation -
Le "manuel de télésémiologie" du docteur Puechlong va un peu plus loin qu'un guide détaillé d'interrogatoire, en s'intéressant à l'examen vidéo des symptômes corporels, et aux gestes que le patient peut lui-même faire sous le contrôle à distance de son médecin, comme l'autopalpation.
"Certains disent qu'on ne peut pas faire d'examens cliniques sans examen physique, mais notre manuel essaie de démontrer le contraire" indique le docteur Puechlong.
Pour autant, aucun des deux médecins ne prétend que la téléconsultation peut répondre à tous les besoins.
"Le 100% télémédecine n'a pas de sens", estime le docteur Puechlong, qui préfère évoquer la construction pour le patient de parcours "digi-physiques", mêlant médecine présentielle et télémédecine.
Médecin généraliste et enseignante en faculté de médecine, la docteure Stéphanie Sidorkiewicz jette un regard prudent sur la téléconsultation, qu'elle pratique elle-même occasionnellement... mais uniquement avec ses patients réguliers.
"C'est vrai que l'entretien" avec le patient "représente une partie majeure de la démarche diagnostique", explique-t-elle. "Mais face à un nouveau symptôme, il est quand même très courant de faire un examen clinique. Et il est très difficile de savoir en avance si on va pouvoir s'en passer ou non", fait-elle observer.
Par ailleurs, "il y a plein de questions à vérifier" scientifiquement, estime-t-elle.
En l'absence d'examen clinique, le médecin ne va-t-il pas avoir "plus tendance à prescrire plus d'examens complémentaires - radio, prise de sang... - pour se prémunir ?", s'interroge-t-elle.
En 2021, une publication de l'Académie nationale de médecine rapportait que selon plusieurs études, des télé-docteurs avaient montré une plus grande propension à prescrire des antibiotiques que leurs confrères voyant directement leurs patients.
C. Fournier--BTZ