Aux Etats-Unis, la désinformation autour d'un supposé traitement anti-avortement
Depuis la volte-face historique de la Cour suprême sur l'avortement il y a un an, la désinformation fait tâche d'huile aux Etats-Unis sur question de l'IVG, certains militants anti-avortement faisant l'éloge d'un supposé traitement qui permettrait, selon eux, d'inverser les effets d'une pilule abortive.
Des experts médicaux avertissent pourtant des risques de ce pseudo-traitement, potentiellement fatal.
Dit d'"inversion", il comprend la prise de progestérone pour les femmes enceintes qui changent d'avis après avoir pris la pilule abortive mifépristone.
"L'inversion (des effets) de la pilule abortive peut aider à faire marche arrière", peut-on lire sur le site de l'APRN, un organisme anti-avortement qui loue par ce supposé traitement "une seconde chance à la vie, juste à temps".
Le site de l'APRN fait mention d'"exemples de réussite" ne pouvant être authentifiés, avec des témoignages émus de femmes ayant appelé le numéro spécial de l'organisme et choisi cette "inversion", permettant ainsi de sauver leur foetus.
Mais l'APRN ne mentionne pas l'avertissement du Collège américain de gynécologie et d'obstétrique (ACOG), une association professionnelle de spécialistes, qui estime ce traitement "sans fondement scientifique" et "contraire à l'éthique".
En 2019, des essais médicaux avaient été menés par une équipe de chercheurs de l'université de Californie à Davis afin d'examiner la potentielle efficacité de ce traitement d'"inversion". Les essais avaient dû être interrompus prématurément après de graves hémorragies internes chez certaines participantes.
- "Potentiellement nuire" -
"Les exemples anecdotiques de réussite ne mentionnent généralement pas qu'il n'existe aucune preuve médicale fiable affirmant que la prise de progestérone pour inverser les effets de la mifépristone accroît les chances d'une poursuite de la grossesse", explique à l'AFP Anicka Slachta, experte à l'observatoire sur la désinformation NewsGuard.
"Omettre ce contexte et présenter (la procédure) d'+inversion+ des effets de la pilule abortive comme sûre et efficace peut potentiellement nuire", estime-t-elle.
Sollicité par l'AFP afin de transmettre certaines données étayant ces propos, l'APRN a dans un premier temps répondu, par la voix d'une responsable de la communication d'Heartbeat International, un groupe anti-avortement qui soutient le réseau.
Mais après avoir demandé ce que l'AFP comptait mettre en avant dans son article, cette responsable a cessé les échanges.
Une chercheuse américaine spécialiste de la désinformation de santé a appelé le numéro spécial de l'APRN, prétendant être une femme enceinte. Son interlocuteur lui a dit que l'organisme avait réussi à sauver 4.000 enfants à travers le traitement d'"inversion", citant un taux de réussite de 64 à 68%, un chiffre également présent sur le site de l'APRN.
Cette chercheuse, qui a souhaité garder l'anonymat par crainte de harcèlement en ligne, a partagé les fichiers audio de la conversation avec l'AFP.
Lorsqu'elle a déclaré lors de son appel au numéro spécial que l'ACOG ne considérait pas le traitement comme sûr, il lui a été répondu qu'on ne pouvait pas faire confiance à cette organisation "très pro-avortement", ce qui les rend "biaisés".
- Explosion de la désinformation -
Dans un rapport paru la semaine dernière, le Centre de lutte contre la haine en ligne (CCDH) a affirmé que des milliers de "fausses cliniques" à travers les Etats-Unis avaient dépensé plus de dix millions de dollars en publicités sur le moteur de recherche Google ces deux dernières années, dans le but d'empêcher les personnes "déterminées à avorter" d'accéder aux soins.
Beaucoup d'entre elles, souligne le rapport, faisaient la promotion de cette procédure d'"inversion".
Selon les observations du Laboratoire de la santé en ligne de l'ONG Meedan, dans les mois qui ont suivi la fin de la garantie constitutionnelle des Américaines à avorter, le sujet de l'"inversion" des effets des pilules abortives était parmi ceux ayant vu une explosion de la désinformation autour de l'avortement.
"Ce n'est pas le fait que quelqu'un puisse changer d'avis par soi-même sur le fait d'avorter qui est dangereux", estime auprès de l'AFP Jenna Sherman, une responsable de Meedan.
Ce qui l'est, dit-elle, "c'est de promouvoir un traitement non vérifié et potentiellement fatal afin d'être anti-avortement à tout prix, plutôt que de soutenir (le droit à) l'autonomie corporelle des personnes".
L. Andersson--BTZ