Reconstruction des seins: des innovations futuristes pour les patientes
Reconstruire un sein "naturellement" après une ablation, sans avoir recours au silicone: c'est l'ambition de plusieurs start-ups de la santé, dont la lilloise Lattice Medical, qui entame tout juste son premier essai clinique.
Julien Payen, son président et cofondateur, est enthousiaste: une patiente, qui a subi une mastectomie en raison d'une tumeur, va se voir implanter d'ici quelques jours, dans un hôpital géorgien, la prothèse développée par sa société. C'est officiellement le début de l'essai, qui va se dérouler dans trois pays: en Géorgie donc, mais aussi en Espagne et en France. Le but: tester sur une cinquante de femmes la reconstitution du sein et la bonne tolérance à la bioprothèse.
Dans de petits locaux en région lilloise, seize imprimantes fabriquent ces prothèses d'un nouveau genre. Attention, elles n'ont rien à voir avec les prothèses déjà commercialisées en silicone, puisqu'elles sont réalisées dans un biopolymère composé essentiellement d'acide lactique, qui doit naturellement se résorber, une fois dans le corps, en dix-huit mois.
Le matériau est d'abord transformé en filament afin d'alimenter les imprimantes 3D, qui vont produire des implants pensés pour permettre la régénération du tissu adipeux.
Jusqu'ici, il existe trois manières principales de remplacer un sein. Les implants en silicone - qui ont mauvaise presse après le scandale des implants PIP - et des procédures dites "autologues".
- Dentelle -
L'une consiste à utiliser un lambeau de gras ou de muscle de la patiente, prélevé à un autre endroit du corps, pour reconstituer le sein. "L'autre consiste à réinjecter progressivement des cellules graisseuses prélevées sur les zones de stockage lors de liposuccions", explique la docteure Apolline Bout Roumazeilles, chirurgienne reconstructrice à l'institut Curie.
Avec ces dernières méthodes, "on prélève sur le corps, cela va engendrer douleurs et cicatrices. Le choix de la technique se décide en fonction de la morphologie, de l'âge de la patiente", décrit-elle.
L'implant de Lattice se présente, lui, en deux parties, un socle et un dôme, à la conception inspirée de la dentelle de Calais-Caudry. "Un peu du tissu adipeux de la patiente est d'abord suturé sur ce socle. Puis on le referme avec le dôme: une fois implanté, le tissu se régénère à l'intérieur, protégé comme dans une cage, en six mois", explique Julien Payen, ingénieur de formation, qui a fondé la start-up en 2017 avec deux médecins et un chirurgien plasticien du CHU de Lille.
"L'implant est poreux, ce qui permet au fluide de cicatrisation de nourrir le tissu", poursuit-il.
Après avoir testé la technologie sur des animaux, la start-up a obtenu l'autorisation de passer à l'humain. Plus récemment, une autre biotech française, Healshape, à Lyon, s'est aussi lancée dans un projet de bioprothèse, également produite par imprimante 3D.
- "Remplacer le silicone" -
"Nous fabriquons une matrice poreuse pour régénérer les tissus, faite en matières naturelles biosourcées, un environnement très proche du tissu humain", explique Sophie Brac de la Perrière, sa présidente, qui estime que cette technologie pourrait élargir la reconstruction à davantage de patientes. Healshape envisage d'entamer les essais cliniques en 2024.
"Si cela fonctionne à la place d'une prothèse en silicone, ce serait une bonne alternative, permettant de s'affranchit du corps étranger représenté par le silicone, sans avoir à faire de nouvelles cicatrices sur le corps", juge la docteure Bout Roumazeilles.
Avec leurs systèmes, Lattice et Healshape prévoient de proposer des prothèses personnalisées à chaque patiente.
"Notre objectif, c'est que ce soit accessible à toutes les patientes. A long terme, on veut remplacer le silicone", affirme Julien Payen. Le marché de la reconstruction mammaire est potentiellement très important. Une femme sur huit va souffrir d'un cancer du sein au cours de sa vie. Sans oublier le secteur de la chirurgie esthétique.
"Il faut avoir un peu de recul pour juger, car tant que ce n'est pas testé, on ne sait pas s'il y aura des effets secondaires ou des complications", tempère la docteure Bout Roumazeilles. "Mais si ce type de dispositif prouve son efficacité, je pense que je l'utiliserai dans quelques années", anticipe-t-elle.
P. Rasmussen--BTZ