Dans l'est de l'Ukraine, l'étau se resserre sur les derniers civils
Le long de la route pour Kourakhové, dans l'est de l'Ukraine, les maisons fantômes s'alignent, carcasses fracassées par les bombes, bordées de poivrons qui moisissent sur pied, de carrés de fleurs jonchés de débris.
La région et ses villages sont aujourd'hui pris en sandwich par les forces russes qui avancent au Nord, au Sud, et à l'Est, forçant la population à fuir, encore et encore.
L'armée russe ne cesse de progresser dans cette zone qui comporte un important gisement de lithium et située au sud de Pokrovsk, cité industrielle et noeud logistique majeur pour les forces ukrainiennes.
C'est dans cette région que la Russie a marqué sa plus grande progression ces derniers mois, selon une analyse de l'AFP le 28 octobre, à partir de données de l'Institut pour l'étude de la guerre (ISW), un centre de réflexion américain. Des avancées qui s'accélèrent encore.
- "Sauvez votre vie" -
Dans la localité voisine d'Andriïvka, les étals de la supérette sont aussi clairsemés que la clientèle, la majorité des civils étant partis.
"Ce sont les derniers pains, prenez-les", dit l'épicier à une cliente.
Malgré les bombes russes qui "volent tous les jours", Anatoliï reste pour tenir la dernière épicerie de la région et aider les personnes âgées et handicapées des villages environnants qui n'ont pas encore évacué : "Ceux qui n'ont nulle part où aller, ceux qui n'ont pas d'argent, pas de parents".
Mais quand l'électricité sera coupée, alors l'épicier de 37 ans rejoindra sa femme et son jeune enfant, déjà partis, qui en "ont assez vu en trois ans de guerre", depuis l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022.
De fait, la route de la région est parcourue de mini-bus siglés "évacuation", alors que les messages appelant à fuir se multiplient sur les téléphones : "Chers habitants de la région de Donetsk ! Sauvez votre vie et celle de vos proches ! Évacuez !", peut-on lire.
Fédir Gjyvine, 69 ans, n'envisage pas encore de partir. Il s'entoure de bocaux de légumes pour passer l'hiver et les stocke dans son petit abri où il se réfugie quotidiennement lors des frappes russes.
Et si le chauffage vient à manquer ? "Alors on descendra chercher du charbon dans la mine", rétorque Fédir sur un ton de défi, qui, malgré son âge voudrait "se battre pour son pays".
Il concède cependant qu'il partira si les forces russes s'approchent encore, pour rejoindre sa fille qui vit à 400 kilomètres plus à l'ouest. "Mais j'ai le temps", assure-t-il.
Un temps qui s'amenuise vite, Moscou ayant déjà annoncé avoir capturé la localité de Voznessenka, à une quinzaine de kilomètres à vol d'oiseau d'Andriïvka.
- "On veut la paix" -
En amont, une des retenues du lac artificiel de Kourakhové a été endommagée par un tir russe selon le gouverneur régional, laissant craindre des inondations.
Mais si la rivière est sortie de son lit par endroit, elle n'a pour l'instant touché aucune habitation, a constaté l’AFP.
Dans la localité de Datchné, toute proche du lac et de la ligne de front, les façades des maisons se noircissent de suie, l'horizon se zèbre de fumées et les explosions de l'artillerie résonnent sans discontinuer.
Olga est sortie de chez elle pour aller constater un nouveau cratère, laissé par un énième obus russe qui s'est encore abattu sur son village.
Debout dans la rue déserte, elle attend la paix "en 24 heures" promise par le président américain Donald Trump nouvellement élu, qui a évoqué un accord avec la Russie en cas de victoire à la présidentielle.
"On veut juste la paix", se désole l'institutrice de 59 ans dont l'école est maintenant un tas de ruines qui témoigne de la violence des attaques aériennes, "même s'il faut traiter avec le diable".
Quinze kilomètres à l'ouest se trouve la frontière entre la région de Donetsk et celle de Dnipropetrovsk, vers laquelle l'armée russe ne cesse d'avancer.
Dans cette direction, les lignes de défenses nouvellement construites sont visibles sur des kilomètres, chaque bosquet devenant une zone de défense, chaque champ se griffant de nouvelles tranchées, où pousse les barbelés et les blocs de béton défensifs. De quoi éveiller chez les habitants, la crainte d'une avancée russe plus profonde encore.
L. Pchartschoy--BTZ