Au Soudan, lacrymogènes et défilés contre l'armée et les violences tribales
Les prodémocratie au Soudan ont essuyé dimanche des tirs de grenades lacrymogènes lors de manifestations dédiées aux dizaines de victimes d'un nouveau conflit tribal, illustrant selon eux l'incapacité du pouvoir militaire à gérer le pays, l'un des plus pauvres au monde.
Dans le centre de Khartoum, des centaines de manifestants hostiles au pouvoir installé après le coup d'Etat du général Abdel Fattah al-Burhane en octobre ont tenté d'approcher du palais présidentiel.
Dans un ballet désormais hebdomadaire depuis neuf mois, les forces de sécurité ont tiré des grenades lacrymogènes pour les repousser, avant que la vague de protestataires ne revienne, comme à chaque défilé, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Cette journée de mobilisation est un test. Le front anti-armée s'était lancé début juillet dans un bras de fer avec le pouvoir au lendemain de la journée de répression la plus sanglante de l'année --neuf manifestants tués le 30 juin. Il avait toutefois ensuite levé de lui-même des sit-in qu'il promettait "illimités" au moment de la fête musulmane de l'Aïd al-Adha la semaine passée.
- Don de sang collectif -
Face aux manifestants, les forces de l'ordre avaient installé dès l'aube des blocs de béton en travers des ponts reliant la capitale à ses banlieues, ainsi que des principales artères menant au QG de l'armée, habituel lieu de manifestation.
Si à chaque fois des portraits des manifestants tués sont brandis, ce dimanche, ce sont d'autres morts que les manifestants ont décidé de mettre à l'honneur: les 60 victimes, selon le dernier bilan du ministre de la Santé du Nil Bleu, d'un conflit tribal près d'al-Damazine, chef-lieu de cet Etat frontalier de l'Ethiopie.
"Al-Damazine saigne", pouvait-on ainsi lire sur une pancarte brandie par un jeune manifestant dans le centre de Khartoum.
A Wad Madani, à 200 kilomètres plus au sud, "les manifestants défilent vers l'hôpital pour y donner leur sang", a rapporté à l'AFP l'un des organisateurs de ce cortège, Ammar Mohammed.
Car dans le Nil Bleu, comme dans la plupart des Etats du Soudan, les médecins, les médicaments, les lits d'hôpitaux et les équipements manquent cruellement. Et avec 163 blessés, toujours selon le ministre de la Santé, "tous les équipements de premiers soins ont été épuisés", prévenaient dès samedi les médecins.
- Violence tribale, gains politiques -
Dimanche, selon des témoins sur place, des troupes envoyées en renfort par Khartoum maintenaient le calme à al-Damazine et ses environs.
Mais pour les anti-putsch, la clé du problème tribal --qui a fait des centaines de morts, notamment au Darfour (ouest) ces derniers mois-- est entre les mains des généraux et de leurs alliés ex-rebelles à Khartoum qui, accusent-ils, exacerbent les tensions ethniques et tribales pour leurs gains personnels.
Samedi, des dizaines de familles --majoritairement des femmes et des enfants-- avaient fui leur maison par peur des balles perdues à al-Damazine.
"La violence n'est jamais une solution", a répondu l'Unicef alors que deux enfants sont déjà morts de malnutrition cette année dans le pays où, selon l'ONU, d'ici septembre un Soudanais sur deux connaîtra la faim.
Ajoutant à la détresse des plus vulnérables, la saison des pluies, entamée en juin dans le grand pays d'Afrique de l'Est, a également fait son lot de victimes.
Les autorités annoncent ainsi dimanche que 12 personnes ont été tuées vendredi et 30 maisons emportées au Darfour-Sud. Au total, selon l'ONU, près de 10.000 personnes ont été affectées par les inondations dans au moins quatre Etats en un mois.
F. Burkhard--BTZ