Avec l'inflation, l'équation se complique pour la livraison de courses express
La hausse des coûts pèse sur tous les acteurs économiques, mais d'autant plus sur ceux qui ne sont pas rentables: la livraison de courses express, ou "quick commerce", après des débuts fulgurants, voit s'amonceler quelques nuages au-dessus de sa tête.
Ces entreprises qui promettent la livraison de biens de consommation courante en une grosse dizaine de minutes, surtout en milieu urbain, étaient jusque-là habitués à annoncer des levées de fonds et des niveaux de valorisation record.
Mais fin mai, l'allemand Gorillas a annoncé la suppression de 300 postes administratifs, le turc Getir quelque 14% de ses effectifs soit un peu moins de 4.500 personnes. Et l'américain GoPuff aussi a réduit la voilure, selon plusieurs médias.
La décision n'a pas été "prise à la légère", assure le directeur général en France de Gorillas, Pierre Guionin, à l'AFP. "Mais c'était une étape nécessaire", pour l'entreprise afin qu'elle soit plus forte et plus rentable sur le long terme".
- Lancement de marques propres -
Le public cible de cette nouvelle offre commerciale, des habitants de grandes métropoles internationales, est a priori moins sensibles aux problèmes de pouvoir d'achat que le consommateur moyen, et "le marché reste en pleine croissance", avec toujours plus de clients séduits, selon Pierre Guionin.
Pour autant, les clients sont "plus attentifs" aux prix qu'auparavant et "la catégorie +discount+, par exemple, est très sollicitée", observe-t-il toutefois. Et Gorillas vient d'ailleurs de lancer en France, Allemagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni ses propres marques de distributeurs sur une cinquantaine de produits, généralement identifiés comme plus accessibles que les grandes marques (Danone, Coca-Cola par exemple).
Mais la raison des réductions d'effectifs est surtout à chercher du côté du financement de cette activité de "quick commerce", très coûteuse en temps, en logistique et en personnel, alors que le public est habitué aux frais de livraison faibles pratiqués par les e-commerçants comme Amazon.
Les investisseurs "ne veulent plus soutenir des entreprises qui veulent faire de la croissance à tout prix", explique à l'AFP Clément Genelot, spécialiste du secteur de la distribution chez Bryan, Garnier & Co.
Les quick-commerçants réduisent leurs effectifs ou se retirent de certains pays "parce qu'ils savent que ce sera plus compliqué de lever de l'argent", dit-il.
Paul Lé, qui a cofondé le site de commerce alimentaire en ligne La Belle Vie, indique avoir connu de telles "difficultés par le passé". "Les investisseurs ciblent plutôt des marchés qui ont de meilleures perspectives de rentabilité", souligne-t-il.
"L'activité a besoin d'un panier moyen assez haut" pour dégager une marge plus importante, dit-il. Son entreprise, La Belle vie qui propose la livraison "le jour même", s'appuie sur un panier moyen de 80 euros contre une vingtaine pour les quick-commerçants.
- "Dark store" avec vitrines -
Autre possibilité pour gagner en rentabilité, "s'adosser à d'autres activités plus rentables, par exemple une livraison le lendemain ou le surlendemain avec un gros panier de courses". L'option quick-commerce deviendrait alors un service annexe, permettant par exemple de commander les produits "oubliés dans la commande en 48h", observe-t-il.
Reste que le quick-commerce fait face à l'opposition de plus en plus marquée de certaines grandes métropoles, voire d'une partie de la classe politique qui dénonce pêle-mêle, l'arrivée de "villes-entrepôts", les nuisances pour les riverains, voire "l'économie de la flemme".
"A New-York, il y a des discussions sur le fait de bannir les dark stores des quartiers résidentiels pour éviter les vitrines aveugles donnant sur la rue", explique Blake Droesch, analyste aux Etats-Unis pour Insider Intelligence.
GoPuff, acteur dominant dans la capitale économique américaine, réfléchit à ouvrir ses dark stores au public, mais alors "quelle serait la différence avec un magasin de proximité qui fait de la livraison", s'interroge le spécialiste.
De son côté, Clément Genelot se dit toutefois "assez optimiste sur le développement des dark stores". "Ils vont se développer un peu moins vite qu'espéré mais la demande est encore là."
P. O'Kelly--BTZ