Gustavo Petro, le "rebelle" qui veut changer le cours de l'histoire colombienne
Gustavo Petro, arrivé en tête du premier tour de la présidentielle en Colombie, se considère toujours à 62 ans comme un "révolutionnaire" dans de nombreux domaines. Mais celui qui avait pris les armes dans sa jeunesse pour lutter contre l'Etat cherche désormais à instaurer le changement par la voie démocratique.
Endurci par les défaites, l'ancien maire de Bogota est un politicien de gauche obstiné qui aspire, à sa troisième tentative, à atteindre la fonction suprême. Il a désormais de fortes chances de l'emporter face à un candidat indépendant, Rodolfo Hernandez, au second tour le 19 juin.
Le sénateur ne veut rien de moins que changer le cours de "200 ans d'histoire", comme il n'a cessé de le répéter pendant toute sa campagne. "Faire des discours fait aujourd'hui partie de ma nature", écrit-il dans ses mémoires intitulées "Une vie, plusieurs vies".
M. Petro prône la rupture avec les élites qui ont traditionnellement gouverné la Colombie. Son ascension effraie d'ailleurs les conservateurs, hommes d'affaires, grands propriétaires et militaires, qui craignent un "saut dans le vide" si la gauche l'emporte.
Ses adversaires se font d'ailleurs un plaisir de l'attaquer sur son passé au sein du M-19, une guérilla d'extrême gauche d'origine urbaine qui a signé un accord de paix en 1990.
Le candidat du "changement" se décrit comme un "progressiste" plutôt que comme un "gauchiste", conscient du rejet que le terme peut susciter dans un pays martyrisé par six décennies de conflit avec différentes guérillas.
Menacé de mort à plusieurs reprises et contraint à un exil de trois ans en Europe, il est aujourd'hui un des hommes politiques les plus protégés par les forces de sécurité qu'il a lui-même combattues: il tient meeting vêtu d'un gilet pare-balles, entouré de boucliers blindés et d'une vingtaine de gardes du corps.
En février, cet économiste de formation a avoué à l'AFP sa peur d'être assassiné.
- Combattant "médiocre" -
La rébellion de Gustavo Petro, issu d'une famille de la classe moyenne et éduqué par des prêtres, prend racine dans son rejet du coup d'Etat militaire au Chili en 1973 contre le président Salvador Allende, ainsi que dans une présumée "fraude électorale" à la même période contre un parti populaire colombien.
Grand admirateur du Nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez, il avait adopté pendant sa clandestinitié le nom d'Aureliano, personnage de "Cent ans de solitude".
Mais il a toujours été un combattant "médiocre", ont raconté ses compagnons d'armes. Arrêté et torturé par l'armée, il a été emprisonné pendant un an et demi.
Dans ses mémoires, il écrit : "A la différence de nombre de mes camarades, je ne me suis jamais senti une vocation militaire (...) ce que je voulais faire c'était la révolution". Depuis il se présente comme un "révolutionnaire" dans plusieurs domaines, "avec une préférence pour (aider) les plus pauvres".
Le candidat de la coalition "Pacte historique" a promis un vaste programme écologique et entend réformer la progression des militaires au sein de l'armée, qu'il considère comme élitiste.
L'un des mots phares de sa campagne -"la vie"- est directement inspiré de son catholicisme, influencé par la Théologie de la libération. Il est d'ailleurs l'unique candidat de cette élection à avoir rencontré le pape François.
En cas de victoire, les militaires devront jurer fidélité à cet ancien guérillero et accepter les négociations de paix qu'il souhaite relancer avec les rébellions toujours actives, ainsi que l'aministie qu'il compte proposer aux narcotrafiquants.
Après son exil en Europe, Gustavo Petro est devenu député, sénateur, puis maire de Bogota de 2012 à 2015.
Comme parlementaire, il a dénoncé les liens entre politiques et groupe paramilitaires d'extrême droite. Mais son passage à la mairie de la capitale a laissé l'image d'un homme autoritaire, mauvais gestionnaire, s'attirant de puissants adversaires.
Un de ses conseillers à cette époque, Daniel Garcia-Peña, s'est ainsi éloigné de son mentor en raison de son "despotisme" et de sa "difficulté à travailler en équipe", tout en reconnaissant son intelligence et sa connaissance du pays.
"Il menait plusieurs combats en même temps et cela a généré beaucoup de frustration dans les objectifs qu'il s'était fixés", a-t-il raconté à l'AFP.
Passionné de géographie, Gustavo Petro est marié et père de six enfants.
C. Fournier--BTZ