En Arizona, pour de nombreux migrants, l'espoir passe par une brèche dans le mur
Assommée par le soleil brûlant et sa marche dans le désert d'Arizona, Gladys Martinez peut à peine parler lorsqu'elle pose enfin le pied sur le sol américain après avoir franchi à Yuma une brèche dans le mur qui sépare les Etats-Unis du Mexique.
"Nous venons demander asile", dit cette Hondurienne d'une voix tremblante, montrant des photos sur lesquelles figurent selon elle le visage défiguré de sa fille assassinée.
Malgré le "Title 42", mesure sanitaire activée pendant la pandémie par le gouvernement de l'ex-président Donald Trump qui permet d'expulser séance tenante les migrants sans visa, des dizaines de personnes défilent chaque jour comme Gladys par l'une des brèches qui jalonnent ce mur frontalier en Arizona.
Elle dit avoir parcouru plus de 4.000 kilomètres depuis sa ville natale au Honduras, dont une partie à pied, avec pour seul bagage des documents dans un petit sac et les vêtements qu'elle a sur le dos.
"Regardez! Regardez! Ils ont tué ma fille, ils l'ont étouffée", s'écrie Gladys, expliquant vouloir chercher refuge aux Etats-Unis par peur d'être tuée à son tour.
Une grande partie des migrants se présentant à la frontière sud des Etats-Unis sont issus d'Amérique centrale et arrivent avec des histoires sordides de violences et de meurtres commis par des gangs ou d'autres groupes armés.
Beaucoup se heurtent au haut mur qui court à travers le désert et les collines séparant le Mexique et les Etats-Unis, jusque dans les eaux agitées de l'océan Pacifique.
D'autres parviennent, par leurs propres moyens ou via des passeurs, jusqu'à cette brèche de Yuma.
Sous couvert d'anonymat, des policiers expliquent à l'AFP qu'un portail était censé être construit à cet endroit pour permettre l'accès à un réservoir d'eau situé du côté mexicain, mais que les travaux ont été stoppés après l'élection de Joe Biden à la présidence.
- "On n'aime pas les questions" -
Côté mexicain, une route longe le mur, au milieu des dunes et des broussailles.
Fréquemment, un véhicule se gare sur le bas-côté et fait descendre des migrants serrant leurs maigres possessions.
Puis des hommes ou des femmes les mènent par des sentiers sablonneux en direction des Etats-Unis.
"Chacun a son chemin, et ils n'aiment pas que quelqu'un d'autre les emprunte", lance un homme appuyé contre sa voiture, à l'ombre d'un arbre. Il se dit commerçant mais avertit bien vite: "On n'aime pas les gens qui posent des questions ici".
"C'est moi le patron ici, si je lui dis de vous faire disparaître, il vous fait disparaître", ajoute-t-il en désignant un jeune homme silencieux qui se tient à ses côtés.
Les migrants descendus de voiture se hâtent en direction du mur, leurs guides revenant peu après pour repartir comme ils sont venus.
Côté américain, les migrants sont accueillis au sortir de la brèche par des agents de la police aux frontières, qui leur proposent de l'eau, leur demandent s'ils sont armés, d'où ils viennent, s'ils ont des papiers...
Miguel, venu du Pérou, est accompagné de ses filles et de son épouse, qui porte une blessure sanguinolente à la tête. "Quelqu'un lui a lancé une pierre", explique-t-il, tandis qu'elle se fait soigner par des infirmiers américains.
"Ils ont probablement pris le sentier de quelqu'un", commentera un peu plus tard un policier.
Les rares migrants qui ont eu la chance d'échapper aux gardes-frontières ont laissé derrière eux un amoncellement de paquets de biscuits, de bouteilles en plastique et de billets d'avion déchirés en petits morceaux.
"Ils veulent voyager aussi léger que possible", explique le policier.
Et ceux qui sont pris? Il y a fort à parier qu'ils seront expulsés en vertu du "Title 42" et qu'ils retenteront leur chance dès qu'ils le pourront.
Car si la mesure, maintenue vendredi par un juge fédéral malgré le souhait du gouvernement de la lever, ne permet aucun recours légal, même pour ceux qui souhaitent déposer une demande d'asile, elle n'entraîne aucune conséquence judiciaire non plus...
Le gouvernement Biden a annoncé sa décision de faire appel de ce jugement.
"Les Américains peuvent aller faire la fête au Mexique sans porter de masque ou être vaccinés, mais les gens qui veulent demander asile sont laissés dans les limbes, on leur rétorque qu'ils ne peuvent pas entrer aux Etats-Unis à cause du Covid", s'emporte Dulce Garcia, de l'ONG Border Angels.
F. Dumont--BTZ