"Poutine a tout détruit": ancien prorusse, le maire d'Odessa fustige Moscou
Autrefois considéré comme un politicien aux tendances prorusses, le maire de la ville ukrainienne d'Odessa, Guennadi Troukhanov, prend son temps pour évoquer son ressenti à propos de la Russie et du président Vladimir Poutine, qui a envahi le pays le 24 février.
"Les Russes sont actuellement sur notre terre et ils bombardent nos villes, tuant nos gens et nos soldats", constate M. Troukhanov lors d'un entretien à l'AFP.
Pour lui, un point de non-retour a été franchi: il ne peut plus être question d'une quelconque amitié russo-ukrainienne. Il fustige les raids aériens, le blocus de la mer Noire et les millions de tonnes de céréales coincées dans les ports, dont Odessa.
"Poutine a tout détruit", fulmine-t-il.
Avant la guerre, cet homme de 57 ans s'est forgé une carrière dans le monde tumultueux de la politique ukrainienne en tant que membre du parti de l'ancien président prorusse Viktor Ianoukovitch, renversé par un mouvement populaire pro-occidental en 2014.
Malgré les troubles et la montée de l'opposition à la Russie, Guennadi Troukhanov a continué sa percée en devenant maire d'Odessa, quelques mois après des heurts particulièrement meurtriers et tragiques entre prorusses et pro-Kiev dans cette ville.
Aujourd'hui, avec des milliers de morts et des millions de déplacés à cause de l'invasion russe, le maire s'agace à la mention du menaçant voisin.
Les troupes de Moscou n'étant qu'à 200 kilomètres d'Odessa, M. Troukhanov préfère se concentrer sur la défense de sa cité, l'un des ports majeurs d'Ukraine, essentiel pour les exportations de denrées.
"Ils ne détruisent pas seulement nos villes et tuent nos habitants, ils provoquent aussi une catastrophe économique", souligne-t-il.
- "Occupants et envahisseurs" -
Si Odessa a jusqu'à présent évité un assaut terrestre des forces russes, la ville a subi des bombardements meurtriers.
Fondée lors du règne de la tsarine Catherine la Grande, Odessa est un symbole de la gloire de l'Empire russe avec son architecture baroque et son emblématique "Escalier Potemkine".
Après la chute de l'URSS en 1991, Odessa a maintenu des liens économiques, culturels et familiaux étroits avec la Russie, ayant la réputation d'une des villes les plus favorables à Moscou en Ukraine.
Les opinions des habitants sont toutefois en train de changer, des siècles de bienveillance mutuelle étant réduits en cendre par les bombardements russes.
"Avec leurs roquettes, ils pensent semer la terreur parmi les habitants. En réalité, ils renforcent la haine contre les occupants et les envahisseurs", relève M. Troukhanov.
Entre deux réunions, il se faufile dans le trafic à bord de sa Range Rover noire pour se rendre sur les lieux d'un récent bombardement.
Les mains jointes, il hoche la tête lorsque les locaux lui posent une série de questions sur la reconstruction et les aides.
"C'est un crime", tranche Igor Chpaguine, un résident de 55 ans, en observant le trou béant laissé par une bombe russe dans son immeuble d'habitation le mois dernier, en pleine Pâques orthodoxe.
"Que pouvons-nous faire? C'est une guerre entre politiciens", abonde Alexandre Groza, policier à la retraire.
Le moment choisi par les Russes pour certains bombardements laisse les habitants perplexes.
Le 9 mai, lors de la grand-messe patriotique en Russie pour célébrer la victoire sur l'Allemagne nazie, Vladimir Poutine a déposé des fleurs sur un monument rendant hommage aux "villes héroïnes" de l'Union soviétique, parmi lesquelles figure Odessa.
Quelques heures plus tard, un barrage de missiles russes est tombé sur la ville.
"Que pouvez-vous attendre d'une personne qui bombarde des enfants? Des gens meurent tous les jours ici", dénonce Alexandra Kasseïenko, 29 ans. "C'est choquant pour beaucoup d'entre nous. Nous étions (des peuples) frères".
Guennadi Troukhanov partage la perplexité de ses administrés. L'édile rappelle que Russes et Ukrainiens ont défait côte à côte, au sein de l'Armée rouge, l'Allemagne nazie lors de la Seconde Guerre mondiale.
"Personne ne pouvait imaginer qu'en 2022, nos gens, des réfugiés ukrainiens, se cacheraient en Allemagne de missiles russes".
F. Dumont--BTZ