Clap de fin pour le Transall, avion mythique de transport de troupes
Certains l'appelaient Pollux, du nom du petit chien au nez rond et noir d'un dessin animé des années 60. Le Transall, avion mythique de transport de troupes de l'armée française, a coupé ses moteurs après un demi-siècle de service.
Avion de transport tactique, il a été de tous les combats ou presque, en particulier en Afrique francophone, y promenant par sauts de puce (1.500 km) son gros nez, sa carlingue massive et son air faussement pataud.
Il en a écumé les pistes en latérite, leurs trous, leurs troupeaux de zèbres, les nuages de sable dans lesquels il se posait en rebondissant pour débarquer du personnel, du matériel, ravitaillé des chasseurs en vol ou effectué des opérations humanitaires.
Après une dernière tournée de prestige, l'armée de l'Air et de l'Espace lui a rendu un dernier hommage sur la base militaire d'Evreux exceptionnellement ouverte au public. Avec à la clé une démonstration en présence de son prédécesseur, le Noratlas, et son successeur l'Airbus A400M.
Avec la conscription, "il y a forcément quelqu'un dans chaque famille qui l'a pris", salue le colonel John, 49 ans dont 23 passés dans un Transall, saluant le "mélange de civils et de militaires" permis par l'appareil pendant un demi-siècle.
L'avion commandé par l'armée française a été créé par Transport Allianz, un groupe formé avec Nord-Aviation pour la France, Weser Flugzeugbau (WFB) et Hamburger Flugzeugbau (HFB) pour l'Allemagne. Assemblé à Bourges, Brême et Hambourg, il a effectué sa première opération extérieure en 1970.
Long de 40 mètres, large de 32,4 de large avec 160 mètres carrés de surface alaire, le C-160 a participé à tous les conflits de 1970 à 2020. Congo, Sénégal, Centrafrique, Djibouti mais aussi Sarajevo ou l'Afghanistan où il a tutoyé son altitude plafond.
Dire que les militaires en sont nostalgiques est un euphémisme. "Il rend amoureux tous ceux qui l'ont approché. C'est une brouette volante", explique à l'AFP Florent de Saint Victor, spécialiste des questions de défense. "Ca fait un bruit de dingue, on a des casques, ça gueule, ça sent les huiles. C'est de l'aéroclub à l'ancienne avec des sièges en toile rabattables".
- 'Le miracle était possible' -
Mais cette rusticité a fait de l'appareil le roi de la piste. "Il y a un trou dans la carlingue: on fait une réparation à l'arrache en soudant un panneau de tôle. Et il n'y a pas de boutons qui clignotent dans tous les sens". L'hydraulique permet de sortir manuellement le train d'atterrissage en cas de blocage. Et puis "c'est l'époque où on était capable de brancher une raclette ou une crêpière dans la soute au fin fond de l'Afrique".
Confirmation du commandant Guillaume, 40 ans. "Ca va me manquer, ce feeling qu'on a pu avoir, ces milliers d'heures passées ensemble. Être dans un endroit où on est bien".
Aujourd'hui, l'Airbus A400M porte trois fois plus loin, trois fois plus lourd. Le Transall appartient à une époque révolue, à l'heure du soldat augmenté, de l'interopérabilité des armes, de l'électronique de pointe. Perd-on en rusticité ce que l'on gagne en modernité? Impossible de le faire admettre par les militaires en activité qui louent à l'unisson les performances de l'A400M.
Le Transall n'avait pas de système de protection anti-missile, les radios avaient une élongation trop courte pour appeler la France. "Mais il ne fallait pas faire venir une équipe de Paris pour regarder les entrailles de l'avion", relève Florent de Saint Victor. "On répare à la lampe frontale. Il y a de la graisse et on s'essuie les mains sur la salopette (...). Les miracles étaient possibles".
Comme ce départ, en quatre minutes chrono d'une piste africaine, raconté par le colonel John. Après des heures à voir les bakchichs réclamés augmenter progressivement, avec un millier de rebelles positionnés en bout de piste, il a filé à l'anglaise, de nuit, trop heureux de ne pas se faire descendre.
Son succès à l'export restera limité : le Transall est né sous la guerre froide, entre deux frères embarrassants, le C-130 américain et l'Antonov russe, dans un marché mondial découpé par la géopolitique.
Mais pilotes et mécanos ne l'oublieront pas. "On va se voir ce soir, on parlera de nos souvenirs. La nuit n'y suffira pas", souffle le commandant Nicolas, après 10 ans sur Transall et huit sur l'A400M.
W. Winogradow--BTZ