A Boutcha, les gendarmes français font parler les morts
Un gendarme français, accroupi, fait vrombir dans le ciel de Boutcha un drone photographique. A ses pieds, la fosse commune s'étend sur 14 mètres dans la terre sableuse. Déjà 70 corps y ont été retrouvés.
Dix-huit experts de l'Institut de Recherches criminelles de la Gendarmerie nationale (IRCGN) sont chargés depuis mardi de mettre en place une chaîne d'examen et d'identification sur le site de la plus importante fosse commune découverte à ce jour dans cette ville du nord-ouest de Kiev.
Ces gendarmes interviennent d'ordinaire en France sur des scènes de crime, des accidents de la route ou des catastrophes naturelles. Plus occasionnellement, ils sont déployés à l'étranger, comme après l'explosion du port de Beyrouth en août 2020.
En combinaisons blanches ou uniformes bleu marine, un masque ou un passe-montagne pour se protéger de l'odeur de mort, ils extraient en un peu moins d'une heure trois corps.
Chacun est ensuite disposé sur une table d'examen, protégée des regards par une tente blanche siglée "IRGCN".
A l'intérieur, six enquêteurs français pratiquent les premières et décisives "constatations". A ce stade il s'agit d'un examen visuel, de la prise de photos et de vidéos ainsi que de mises sous scellés d'échantillons ADN.
- Trente minutes -
Leur mission, sous la houlette du colonel François Heulard, est de déterminer en priorité la date et la cause probable de la mort: par balle, explosion, calcination, voire mort naturelle.
Cet examen préliminaire dure environ trente minutes.
Entre chaque exhumation, les gendarmes français, assistés de leurs collègues ukrainiens pour la logistique et la sécurisation du périmètre, font des pauses pour boire, souffler et échanger.
Chaque corps est ensuite remis dans une housse et emporté dans un camion frigorifique, pour une autopsie dans un institut spécialisé. Deux médecins légistes français font partie de l'équipe des 18 experts envoyés en Ukraine.
Le "laboratoire mobile ADN" de la gendarmerie, qui permettra de recueillir les premiers échantillons destinés aux identifications de ces corps, est lui garé à proximité.
Ensuite, il faudra également constater la présence de mutilation et d'éventuels autres actes de barbarie.
Ces éléments matériels précis et circonstanciés permettront de nourrir les enquêtes locales et internationales qui ont été, ou seront ouvertes pour crimes de guerre.
Car cette opération d'assistance française, "en accord avec les autorités ukrainiennes, pourra également contribuer à l'enquête de la Cour pénale internationale", avait indiqué lundi les ministères français des Affaires étrangères et de l'Intérieur.
- Croix de fortune -
Les habitants de Boutcha ont enterré eux-mêmes ces corps pendant la sanglante occupation de la ville par l'armée russe, qui s'en est finalement retirée le 30 mars, après près d'un mois de présence.
Quelques jours après son départ, des journalistes de l'AFP ont vu une vingtaine de corps d'hommes habillés en civil, l'un les mains liées, éparpillés dans une rues.
Des dizaines d'autres ont été découverts depuis, tout comme plusieurs fosses communes.
Les massacres de Boutcha ont provoqué des condamnations horrifiées du monde entier et poussé les alliés de Kiev à prendre de nouvelles sanctions contre la Russie.
Le site choisi pour creuser la fosse commune sur laquelle travaillent les Français l'avait été à la fois pour sa proximité avec une église et la morgue de la ville, explique à l'AFP le prêtre de la paroisse, Andriï Holovine.
Au sixième jour de l'opération d'exhumation, "70 corps ont été trouvés, "en majorité des civils, ainsi que ceux d'un policier et de deux soldats", précise de son côté le procureur de Boutcha, Rouslan Kravtchenko.
Dans une tombe séparée, marquée d'une croix de fortune, les corps d'une femme et de deux enfants de quatre et 11 ans ont aussi été exhumés, ajoute-t-il.
"Selon les premières constatations, il s'agit des corps d'une famille dont le véhicule a brûlé après avoir été touché par un tir de blindé russe", explique Rouslan Kravtchenko
Selon le maire de Boutcha, Anatoli Fedorouk, plus de 400 corps au total ont été découverts dans sa ville depuis le retrait des troupes russes.
A. Bogdanow--BTZ