"Redonner vie à nos mangroves": au sud du Nigeria, l’enjeu vital de la préservation des forêts
Au bord de la rivière qui traverse Bundu, un bidonville de la ville de Port Harcourt dans l’État de Rivers au sud du Nigeria, une dizaine de riverains munis de bottes en caoutchouc plantent leurs pelles dans la boue et déposent minutieusement des boutures d'arbres.
"Nous allons redonner vie à nos mangroves", lance David Oba, pêcheur de 53 ans qui a lancé il y a quelques mois un projet de restauration de ces écosystèmes du delta du Niger soumis à d'intenses dégradations.
Avec environ 8.440 km2 de mangroves, essentiellement dans le sud du pays, le Nigeria est le premier pays d'Afrique et le cinquième au monde à abriter ce type d'écosystèmes, véritables réservoirs de biodiversité, selon des données la plateforme de surveillance en ligne des mangroves, Global Mangrove Watch, de 2020.
Les mangroves forment un ensemble de végétation qui se développe entre la terre et les eaux, et sont essentielles à des milliers d'espèces puisqu'elles constituent des "refuges pour les poissons et les oiseaux" qui viennent "s'y reproduire et nidifier", explique Ijeoma Vincent-Akpu, professeure d'Ecotoxicologie à l'Université de Port Harcourt.
Outre leur intérêt pour la biodiversité, ainsi que pour l'alimentation des populations locales, elles "protègent le littoral contre l'érosion côtière et les tempêtes, surtout en cas d'inondations", détaille-t-elle, un atout essentiel face au changement climatique.
Mais les mangroves du Nigeria sont confrontées à de multiples dangers liés principalement aux activités humaines, et leur superficie diminue d'année en année.
Ce vaste pays d'Afrique de l'Ouest, le plus peuplé du continent, a perdu 161,9 km2 de mangroves entre 1996 et 2020, l'équivalent de plus de 22.500 terrains de football, soit près de 2% de leur surface totale, d'après Global Mangrove Watch.
- Pollution pétrolière -
A Bundu, une trentaine de personnes ont appris à restaurer les mangroves grâce à l'aide d'une ONG nigériane, le Centre pour l'environnement, les droits de l'homme et le développement (CEHRD).
Elles ont bénéficié d'une formation "théorique", de "coaching" et de "démonstrations", explique Nabie Nubari Francis, coordinateur de l'ONG, qui mène le même projet dans trois autres communautés du delta du Niger depuis près de 15 ans.
Kwani Dick Velvet, journaliste à la retraite, se souvient encore de la première bouture qu'il a plantée dans sa communauté, achetée dans une pépinière voisine.
"Si personne n'était venu planter des mangroves, cet endroit serait un champ vide", indique-t-il, montrant un site qui a selon lui été touché par une fuite de pétrole en 2020.
Les habitants s'accordent à dire que l'incident est dû à un acte de vandalisme sur un oléoduc de pétrole.
"Lorsque des fuites se produisent, nous ne pouvons pas pêcher, ni ramasser crabes et bigorneaux", explique Peter Opugulaya, pêcheur de 38 ans.
Les déversements de pétrole sont fréquents dans la région en raison du manque d'entretien des oléoducs, mais également d'actes de vandalisme.
Au cours des cinq dernières années, l'agence nationale nigériane de détection et d'intervention en cas de déversements d'hydrocarbures (NOSDRA) a répertorié près de 3.870 déversements de pétrole au Nigeria, principalement dans la zone du delta du Niger où est extrait l'or noir nigérian.
- Palmiers nypa -
D'autres menaces pèsent sur les mangroves nigérianes, dont la pollution liée aux déchets qui empêchent la croissance des arbres, ainsi qu'en attestent les rues de Bundu jonchées de bouteilles et d'emballages plastiques.
A cela s'ajoute l'exploitation forestière illégale, notamment pour le bois de chauffage, l'expansion urbaine, mais aussi la présence des palmiers nypa, une essence invasive qui empêche les arbres de mangroves de pousser.
Ces palmiers, importés d'Asie du sud et d'Océanie, servent à la confection des toitures de maisons ou d'objets de vannerie, mais ne permettent pas aux poissons et coquillages de trouver refuge, contrairement aux racines ligneuses des mangroves.
"Les palmiers nypa sont partout" déplore Colin Love, 40 ans, agriculteur du village de Kono, situé à près de 70 kilomètres de Port Harcourt. "Je plante des mangroves pour que les poissons reviennent", affirme-t-il.
En début d'année, le ministre de l'Environnement nigérian avait assuré travailler avec l’État de Rivers pour protéger les mangroves et atténuer les effets du réchauffement climatique.
Quatre ans plus tôt, le gouvernement avait annoncé sa volonté de lancer un plan national de restauration des mangroves, resté lettre morte.
Pour les populations locales, le gouvernement tarde à mener des actions concrètes.
"En attendant, que le gouvernement nous aide, on ne reste pas les bras croisés. On s'entraide, si d'autres communautés n'ont plus de petites mangroves à planter, on peut leur en fournir", confie Prince Nwilee, 48 ans, chauffeur et habitant de Kono.
M. Tschebyachkinchoy--BTZ