Jeux vidéo: les salariés d'Ubisoft et Don't Nod en grève contre les licenciements
Plan de licenciement à Don't Nod, "dialogue de sourds" au sein d'Ubisoft: les salariés français du jeu vidéo sont appelés à faire grève jeudi dans un climat social tendu, alors que les suppressions de postes et les fermetures de studios se multiplient dans le monde.
"Nous demandons l'abandon du plan social", a indiqué à l'AFP un membre du syndicat des travailleurs du jeu vidéo (STJV) du studio Don't Nod, qui a souhaité garder l'anonymat, avant une quatrième journée de mobilisation jeudi.
Un piquet de grève sera organisé à 14H00 devant les locaux parisiens de l'entreprise qui traverse une mauvaise passe financière.
Elle a annoncé en octobre envisager de se séparer de 69 employés dans le cadre d'un projet de réorganisation, soit près de 20% de ses effectifs en France.
Le STJV se joint ainsi à l'appel plus large lancé par la CGT pour une journée de mobilisations pour protester contre les plans de licenciements.
"Se battre pour Don't Nod, c'est aussi se battre pour l'industrie française", affirme le membre du STJV, qui redoute "un effet boule de neige".
- Main tendue -
Car le studio français fondé en 2008, qui s'est fait le spécialiste des jeux narratifs et engagés, n'est pas le seul à connaître une période difficile.
Le géant Ubisoft a annoncé début décembre la fermeture de ses antennes à San Francisco et Osaka et la suppression de 277 postes à l'étranger, après le lancement décevant du jeu en ligne XDefiant.
Dans la tourmente, l'entreprise a fait état fin octobre de résultats financiers en net recul au premier semestre, après le report à février de la sortie du très attendu "Assassin's Creed Shadows" et les ventes plus faibles que prévu de "Star Wars Outlaws", sur fond de rumeurs de rachat relancées vendredi par des publications de presse.
"Les gens ont peur de ne plus avoir d'emploi dans quelques mois. On sait que l'année prochaine risque d'être encore pire", s'est inquiété auprès de l'AFP Vincent Cambedouzou, délégué du STJV chez Ubisoft Paris.
Lundi, les syndicats d'Ubisoft ont dénoncé "un dialogue de sourds préoccupant" autour des négociations sur le télétravail, qui ont mené à une grève en octobre — la deuxième de l'année — mobilisant près de 1.000 salariés, sur les 4.000 en France.
Sur la base d'un sondage interne, ils indiquent que "près de 200 collègues envisagent de quitter l'entreprise" si le groupe maintenait sa décision d'imposer au moins trois jours de présence au bureau par semaine.
Pour "permettre à l'entreprise de retrouver sa sérénité", Ubisoft a annoncé mercredi la tenue d'une journée de concertation avec les syndicats et le CSE le 22 janvier "afin d'établir notre plan de travail 2025 sur les questions sociales".
Une main tendue accueillie "de manière circonspecte" par Pierre-Etienne Marx, délégué STJV au sein d'Ubisoft Paris: "C'est une parole, c'est bien. Maintenant, on attend des actes".
- Année noire -
Les patrons de studios s'inquiètent également de la censure du gouvernement Barnier et de l'arrêt de l'examen du budget 2025, qui maintenait jusqu'en 2031 le crédit d'impôt jeu vidéo, principal outil de financement public de cette industrie en France.
Sans ce dispositif, le secteur ferait face "à une délocalisation massive", "des licenciements et des fermetures de studios en France", a affirmé à l'AFP le député Denis Masséglia (Renaissance), qui avait déposé l'amendement assurant sa prorogation jusqu'à 2031.
S'il souhaite le faire voter à nouveau lors du prochain budget, l'élu espère garder "a minima le dispositif en l'état jusqu'en 2026".
Mais pour Stéphane Rappeneau, professeur d'économie du jeu vidéo à la Sorbonne, "la protection sociale ne suffira pas à pallier les difficultés" d'Ubisoft et Don't Nod.
"Aujourd'hui, 80% du secteur est à la peine", constate-t-il, alors qu'au niveau mondial, l'industrie connaît une année particulièrement difficile.
"Dans le contexte actuel, il n'y aura pas de sortie facile sans une restructuration en profondeur" de ces entreprises, ajoute-t-il.
Réorganisation, diversification, utilisation plus parcimonieuse des fonds alloués: pour l'économiste, les pistes ne manquent pas.
Mais il avertit: "dans les cinq années à venir, ces boîtes vont devoir se séparer d'au moins 30% de leurs salariés".
Y. Rousseau--BTZ