Salvador: Bukele veut relancer l'extraction minière interdite depuis 2017
"Absurde" ! C'est ainsi que le président président du Salvador, Nayib Bukele, a d'abord qualifié la décision du pays en 2017 d'abandonner l'extraction minière au nom de la défense de l'environnement. Face à une croissance atone, il entend la relancer et avance pas à pas son argumentaire.
Le Salvador avait été le premier pays au monde à interdire toute licence ou concession de mines de métaux à ciel ouvert ou souterraines, ainsi que l'usage de produits chimiques toxiques comme le cyanure ou le mercure.
Fin novembre sur son compte X, son unique canal de communication, M. Bukele a affirmé que "des études menées dans seulement 4% de la zone potentielle ont permis d'identifier 50 millions d'onces d'or, évaluées aujourd'hui à 131.565 millions de dollars. Cela équivaut à 380% du PIB", a-t-il avancé, sans citer de sources précises.
"Si nous exploitons nos ressources naturelles de manière responsable, nous pouvons changer l'économie du Salvador du jour au lendemain", a-t-il estimé quelques jours plus tard dans un autre train de publications.
Le président élu en 2019 va demander au Parlement, où son parti est ultra-majoritaire, d'abroger la loi afin de lancer des appels d'offres pour profiter selon lui de "la plus forte densité au monde" de gisements d'or.
- "Risque" -
Les publications savamment distillées de M. Bukele suscitent l'inquiétude des défenseurs de l'environnement et une quinzaine d'ONG ont appelé à un rassemblement mardi autour du Parlement.
"C'est une chose d'installer une mine dans le désert d'Atacama (au Chili) et cela en est une autre d'ouvrir une mine à ciel ouvert à Chalatenango (nord du Salvador), où la densité de population est élevée et où il existe peu de réserves forestières", juge auprès de l'AFP Pedro Cabezas, leader de l'Alliance centraméricaine contre les mines.
Antonio Pacheco, dirigeant de l'ONG ADES, estime que l'exploitation minière dans le bassin de la rivière Lempa, qui alimente la capitale en eau, "comporte un risque énorme" et "l'effet nocif se répercuterait sur tout le territoire".
Les diverses ONG qui avaient milité et obtenu la loi anti-mines de 2017 prédisent "pénurie d'eau et pollution", car contrairement aux pays andins (Chili, Pérou, Bolivie, Argentine), l'Amérique centrale n'a aucune tradition minière.
L'exploitation à ciel ouvert est illégale au Honduras, au Costa Rica (bien que le gouvernement ait laissé entendre un possible retour en arrière), et le Panama a déclaré un moratoire sur de nouvelles autorisations d'extraction après la paralysie du pays contre la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert d'Amérique centrale.
- "Emplois" -
Après s'être attaqué aux gangs qui terrorisaient le pays à coups d'états d'urgence et d'arrestations massives, Nayib Bukele doit relever celui du pouvoir d'achat : plus d'un quart des Salvadoriens vivent dans la pauvreté, et près de 70% des emplois sont dans le secteur informel.
Au pied de la colline de Saint-Sébastien, dans l'ancienne zone minière de Santa Rosa de Lima (nord-est), les projets de Bukele divisent.
"Ca créera des emplois" et "bénéficiera à tous", estime auprès de l'AFP Rubén Delgado, maçon de 55 ans.
José Torres, chercheur d'or indépendant de 72 ans qui craint de perdre sa maigre source de revenus, dit que "les rivières sont déjà polluées, les animaux meurent, et nous n'avons rien d'autre ici".
Critique virulent de l'industrie minière, le prêtre jésuite Rodolfo Cardenal, estime que "l'éclat de l'or alimente des fantasmes exorbitants et une cupidité insatiable". Selon ce professeur à l'université centraméricaine, "le Seigneur n'a pas placé un gigantesque trésor sous nos pies pour enrichir une multinationale et ses relais locaux, ou pour polluer ou détruire des vies".
Il s'interroge sur les intérêts qu'entend défendre M. Bukele : "Ceux du pays ou ceux d'une multinationale ?".
- "Défis" -
L'économiste Carlos Acevedo, ancien président de la Banque centrale du Salvador, déclare que les chiffres "spectaculaires" avancés par le président Bukele suggèrent que le Salvador "est assis sur une mine d'or". Selon lui, si la véracité des 50 millions d'onces d'or est reconnue, cela couvrirait quatre fois la dette extérieure du pays de 31 milliards de dollars, soit 85% du PIB.
Il souligne que le principal défi est d'arriver à "extraire cet or de manière socialement et écologiquement responsable", mais prévient que malgré tout l'or du monde "il n'existe pas de recette miracle permettant de générer de la croissance du jour au lendemain".
Selon lui, l'autre défi de M. Bukele sera de parvenir à "négocier différemment" avec les géants mondiaux de l'extraction minière, les redevances négociées avec les Etats lors des appels d'offres étant minimes.
M. Tschebyachkinchoy--BTZ