Vendée Globe - Un bateau 100% en carbone recyclé: le "message fort" de Tripon
Fidèle à ses convictions, le skipper Armel Tripon entend embarquer pour la prochaine édition du Vendée Globe en 2024 à bord d'un bateau construit avec du carbone recyclé fourni par l'avionneur Airbus: une première et "un message fort" pour l'industrie nautique.
Tripon avait marqué le Vendée Globe 2020/2021 à bord d'un bateau flambant neuf (L'Occitane) en partageant sa découverte du tour du monde en solitaire, à l'issue duquel il avait fini onzième.
Mais à peine le pied posé à terre, il apprenait que le sponsor mettait un terme à l'aventure course au large et vendait le bateau, racheté illico par le navigateur Louis Burton. Sans monture, Tripon a vite rebondi.
"Le Vendée Globe s’est fini assez vite, et très vite j’ai tourné la page, c’était brutal", souligne à l'AFP le marin nantais. "J’étais super content de cette expérience, c’est assez inouï. Et j’ai envie d’y retourner. De repartir pour 2024 avec un projet un peu décalé".
"On a pu rencontrer Airbus, à Nantes. Eux cherchaient aussi à développer d’autres débouchés technologiques que leurs avions. Et avec la classe Imoca (les bateaux du Vendée Globe, NDLR) on a proposé de construire un premier bateau à partir de tout le carbone en fin de vie, en fin de date de validité, chez Airbus", explique-t-il.
Airbus maintient dans des congélateurs du carbone destiné à la construction des avions et des quantités de matériau non utilisé après la date de péremption sont envoyées à l'enfouissement.
Le cabinet d'architectes naval VPLP travaille de concert avec le skipper sur le projet.
"Il s’avère que les normes aéronautiques chez Airbus sont très contraignantes, des carbones sont déclassés à partir d’une certaine date, ils partent à la destruction", détaille Vincent Lauriot-Prévost, cofondateur de VPLP. "Tous ces matériaux sont très proches de ceux utilisés dans le nautisme où on n’a pas les mêmes contraintes. On peut faire quasiment 100% d'un bateau avec ces matériaux-là".
- 'Opération pilote' -
Seules quelques concessions seront à faire, notamment avec une structure un peu plus lourde, indique l'architecte naval. Il précise que deux à trois tonnes de carbone sont nécessaires pour la construction d'un Imoca (monocoque de 18,28 m) et estime qu'Airbus en a "au minimum dix fois plus que ça".
"Ca ouvre des perspectives. Ca pourrait être une opération pilote pour une utilisation plus large de matériaux déclassés pour le grand public et l'industrie. C'est aussi un message fort: on peut faire de la course au large à un niveau de compétitivité maximum en détournant des matériaux destinés à être détruits", relève Lauriot-Prévost.
Une tel projet n'avait encore jamais été envisagé et Tripon espère bien le mener à terme, même s'il lui reste encore des financements à trouver. "On cherche deux millions d'euros par an", annonce-t-il.
La matière première n'est pas la plus coûteuse dans la construction d'un bateau. "C'est la main d’oeuvre qui coûte cher. Pendant 12 mois, tu as 20 personnes minimum. En France c’est 50, 60 euros de l’heure et un Imoca c’est 30.000 heures", détaille Tripon, qui voit encore plus loin dans la recherche de solutions durables.
Les pièces d'accastillage (équipements de pont) seront faites à partir de titane recyclé issu de prothèses, grâce à l'association "Les p'tits doudous", dont il est le parrain et sous les couleurs de laquelle il navigue.
"Avant, tout le monde jetait", résume Tripon. "C’était stupide, c’est une prise de conscience. J’aimerais que ce soit juste un début et qu’il y ait derrière une vraie filière nautique".
Le skipper espère lancer en juin la construction de son futur bateau - avec des moules déjà existants - pour une mise à l'eau à l'été 2023.
H. Müller--BTZ