Dans la police, "exprimer son mal-être, c'est très compliqué"
Traumatisée par son intervention lors des attentats du 13-Novembre, Martine* a commencé une longue dépression jusqu'à une tentative de suicide fin 2018. Aujourd'hui, cette policière va mieux et exhorte ses collègues à "ne pas avoir peur de chercher de l'aide".
Le soir des attaques jihadistes, la policière, âgée aujourd'hui d'une quarantaine d'années, se souvient d'être "tombée sur une scène de guerre, et ça a été un vrai traumatisme".
"Il ne s'est pas déclaré tout de suite, il s'est inscrit dans ma mémoire, j'ai continué à travailler plus ou moins bien", rembobine-t-elle.
"La descente aux enfers a été très progressive". Au départ, ce sont "des scènes d'attentats dans un film" ou "des odeurs, des sons", la difficulté de "prendre les transports en commun". Martine voit alors son médecin traitant, "mais j'avais besoin d'un suivi psychologique".
"J'ai eu la chance d'avoir une hiérarchie qui a été sensible à mon mal-être" mais cela "n’a pas suffi".
Seule avec sa fille, elle se "ferme aux gens", se réfugie dans l'alcool. "Je sentais que je dégringolais mais je ne savais pas vers qui me tourner, j'étais perdue".
"Exprimer son mal-être quand on est policier, c'est très compliqué. On est là pour assurer la sécurité de la population et on n'a pas le droit d'être faible, de montrer de la faiblesse. Il faut qu'on soit fort, sinon comment les gens vont avoir confiance en nous?", confie-t-elle.
Un jour, elle "craque" et tente de mettre fin à ses jours "à plusieurs reprises".
Elle va remonter progressivement la pente grâce à l'association "Peps SOS Policiers en détresse" qui accompagne et oriente les fonctionnaires en situation de fragilité.
- "On peut s'en sortir" -
"Les collègues libèrent un peu plus la parole parce qu'ils savent qu'ils vont être écoutés par des policiers, ils n'ont pas besoin d'expliquer le contexte, ça fait gagner un temps fou", dit-elle.
Hospitalisation, suivis psychiatriques, traitements médicamenteux: "la reconstruction a pris à peu près un an, c'est long mais on y arrive", insiste la fonctionnaire.
Désormais "aidante" au sein de Pep's, elle a "basculé de l'autre côté". Son parcours l'aide à "repérer les collègues qui commencent à être en souffrance et qui ont un mal-être".
Aux policiers qui ont peur d'être privés de leur arme de service s'ils parlent, elle répond que "ça fait du bien parfois, ça retire un poids, porter une arme ce n'est pas anodin".
Et surtout, "dire qu'on a été en détresse mais qu'on va mieux et qu'on peut s'en sortir" peut convaincre un policier qu'il n'est "pas seul, qu'il y a du monde pour l'aider, l'accompagner".
Aujourd'hui, elle a le sentiment d'une "prise de conscience de la direction (de la police) qui ne se voile pas la face, entame des discussions, écoute les gens et donne un vrai élan pour faire avancer les choses".
Toujours en arrêt de maladie depuis trois ans, elle espère retourner bientôt sur le terrain.
"Je ne suis pas rentrée dans la police parce que j'ai vu de la lumière, mais parce que je l'avais dans les tripes. Je crois toujours en mon travail", assure-t-elle. "De toute façon, je ne me vois pas faire autre chose, y'a rien d'autre qui m'intéresse".
* prénom modifié
Y. Rousseau--BTZ