Ben, l'écriture enfantine élevée au rang des beaux-arts
Pour les uns c'est un artiste populaire, pour les autres un roi des produits dérivés. Ben, mort à l'âge de 88 ans, est devenu célèbre jusque dans les cours d'école grâce à ses "écritures", messages impertinents et faussement naïfs écrits sur les objets les plus usuels, des trousses aux sacs à dos.
Né à Naples en 1935, l'artiste franco-suisse, de son vrai nom Benjamin Vautier, fondateur de l'Ecole de Nice avec Arman, Yves Klein et Martial Raysse, vivait à Nice depuis l'âge de 14 ans, où il est décédé.
Au début des années 60, sa mère lui achète une librairie qu'il transforme en boutique de disques d'occasion. Elle devait devenir un rendez-vous d'artistes, fréquenté par César, Arman et d'autres. Ce magasin-musée sera transfé au Centre Pompidou en 1972.
Ben se revendiquera de Fluxus, mouvement avant-gardiste né en 1962 et inspiré du "ready made" de Marcel Duchamp, qui s'est employé à désacraliser l'art.
Cet arrière petit-fils du peintre suisse Marc Louis Benjamin Vautier est connu du grand public par ses "écritures", des maximes écrites avec une graphie enfantine et déclinées sur divers supports.
Ben défend la présence de l'art dans la vie quotidienne, sur les objets les plus banals, avec à chaque fois une pincée d'humour. Insolent, chaleureux et amical, il multiplie les performances: "gestes", installations, signatures, pour choquer, interpeller, contredire, faire réfléchir aussi. Et appose sa signature sur les tableaux des autres et jusque sur la peau de sa fille, Eva.
- "Art de tout" -
Ses formules sont tracées d'une écriture arrondie, souvent à la peinture blanche sur fond noir, et semblent au premier abord sorties de la tête d'un écolier potache. Mais elles bousculent les certitudes installées de l'art contemporain: "A quoi sert l'art?", "Le nouveau est-il toujours nouveau?", "Que faites-vous ici?", ou "Mon plus grand soucis, c'est moi" (avec une faute d'orthographe)...
L'électron libre fera "art de tout", collectant par exemple des cageots de légumes pour peindre dessus des phrases entendues sur les marchés.
"Mon art sera un art d'appropriation. Je cherche à signer tout ce qui ne l'a pas été. Je crois que l'art est dans l'intention et qu'il suffit de signer", s'amuse-t-il, détrônant l'oeuvre de son piédestal.
Selon lui, les artistes étaient préoccupés par leur ego, et c'est une manière normale de s'exprimer, d'imprimer sa marque, d'exister au monde. "Mon territoire est actuel pour toutes les écoles d'art: c'est l'étude de l'ego. Est-ce qu'on peut faire autre chose que de l'ego" dans l'art?
Sa création avait débuté dans les années 50 "où se posait la question +qu'est-ce qu'une oeuvre d'art?+ Et il déclare oeuvre d'art des choses qui n'en étaient pas", expliquait Andres Pardey, directeur délégué du Musée Tinguely de Bâle (Suisse).
- "Pas une machine à fric" -
Cet art de l'affichage dans la rue, de l'ironie provocatrice a fait des émules.
Pour Andres Pardey, "Ben est son propre iconoclaste. Il détruit son oeuvre par son oeuvre", manifestant ainsi que l'art peut être éphémère. "Si j'étais critique d'art, j'esquinterais Ben", disait l'artiste.
En sortant du "cadre protégé des musées", en refusant de voir l'art comme le fruit d'une formation et d'un talent, Ben a irrité nombre d'artistes qui le considéraient comme un opportuniste, usurpant le titre d'artiste.
Celui qui s'assoit sur une chaise en pleine rue, un écriteau au cou avec la mention: "Regardez-moi cela suffit" ou appose sur la Promenade des Anglais sa signature sur la peau de passants (avec leur consentement), voit ses "gestes" comme autant d'oeuvres d'art.
Il se vantait de "créer un film qui va s'appeler +Il ne se passe rien+". "C'est du non-art, de l'anti-art".
Ben se défendait de ne pas avoir de message. "Je ne suis pas une machine à fric, mais une machine à communiquer", disait-il, assurant être toujours dans "une recherche philosophique" sur les "limites de l'art".
P. Rasmussen--BTZ