Centenaire de la république: la Turquie montre ses muscles
La Turquie a célébré dimanche le centenaire de sa république en exhibant sa puissance dans le ciel et sur le Bosphore.
La parade aéronavale sur le détroit qui traverse Istanbul, dans la lumière automnale de l'après-midi, a fourni à la république centenaire et à son armée, la deuxième de l’OTAN en effectifs et la huitième du monde, l'occasion de montrer ses muscles.
Après les passages répétés des F16 américains qui ont multiplié les figures et écrit des 100, comme 100 ans, dans le ciel, c'est le port-aéronef Anadolu, spécialement aménagé pour accueillir des drones, entré en service en février dernier, qui a ouvert la voie à la "plus grande parade navale" de l'histoire, remontant le détroit toutes sirènes dehors en direction de la Mer Noire, à la tête d'une flotte de cent bâtiments.
"Notre République est en sécurité et entre de bonne mains, comme elle ne l'a jamais été. Repose en paix", a lancé dimanche matin le président Recep Tayyip Erdogan face au mausolée du fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Ataturk, à Ankara.
Le chef de l'Etat, arrivé dans l'après-midi à Istanbul, devait s'adresser au pays depuis son palais sur le Bosphore à 19H23 locales (16H23 GMT), clin d'oeil à la date de la créaction de la république, 1923.
- Drones et illuminations -
Feux d'artifices et démonstrations de drones, illuminations des lieux emblématiques, de la mosquée Sainte-Sophie au site antique grec d'Ephèse et aux concrétions de Cappadoce, le programme des festivités a attiré de nombreux badauds agitant le drapeau rouge de la Turquie, soucieux de montrer leur attachement à la république.
"Nous sommes les filles d'Ataturk, nous sommes les enfants de la république", s'emeut Selin Günes, une étudiante de 22 ans. "C'est ça la Turquie".
"J'en ai la chair de poule, les larmes aux yeux, j'ai du mal à m'empêcher de pleurer, c'est si beau aujourd'hui", s'enthousiasme une femme au foyer, Sevtap Ceri accourue avec des milliers d'autres pour admirer la parade militaire le matin.
Le programme des festivités n'a été dévoilé qu'une petite semaine avant le jour J, à la grande frustration de nombreux Turcs qui ont soupçonné la réticence du chef de l'Etat et de son gouvernement islamo-conservateur à rendre hommage à son illustre prédécesseur et à fêter un siècle de la république laïque.
A la veille de ce rendez-vous historique, Recep Tayyip Erdogan avait choisi de rejoindre samedi le grand meeting organisé par son parti, l'AKP, "en soutien à la Palestine" sur l'ancien aéroport Atatürk d'Istanbul.
Une marée humaine agitant des drapeaux turcs et palestiniens, - un million et demi de personnes, a-t-il assuré - l'a écouté conspuer l'Occident, "principal coupable des massacres à Gaza".
"Vous avez pleuré les enfants tués en Ukraine, pourquoi ce silence face aux enfants tués à Gaza?", a-t-il accusé qualifiant l'Etat d'Israël "d'envahisseur et d'occupant".
- "Neutralité impossible" -
"Israël, nous vous déclarons devant le monde entier criminel de guerre", a-t-il également martelé au 22e jour des bombardements sur la bande de Gaza en représailles aux massacres de 1.400 Israéliens, majoritairement civils, perpétrés par le Hamas le 7 octobre.
Une virulence qui contraste avec sa retenue des premiers jours, alors que la Turquie vient tout juste de renouer avec Israël, relève Bayram Balci, chercheur au CERI-Sciences Po à Paris.
"Sa neutralité devenait impossible en raison du positionnement traditionnel d'Ankara et de son parti, AKP, en faveur de la cause palestinienne", estime-t-il en rappelant la proximité du président avec les Frères musulmans -- dont le Hamas s'est réclamé à sa création, en 2007 - et les liens historiques de la Turquie avec Jérusalem, qui fut pendant quatre siècles sous la domination de l'Empire ottoman.
Le chef de l'Etat a également accusé Israël de "génocide" après la frappe sur un hôpital de Gaza le 17 octobre, qu'il avait aussitôt attribuée à l'armée de l'Etat hébreu - sans jamais revenir dessus, malgré l'absence de preuves. Et il a refusé de qualifier de "terroristes" les islamistes du Hamas.
Pourtant un sondage de l'institut Metropoll publié cette semaine a montré qu'une écrasante majorité de Turcs ne souhaite pas voir leur pays s'engager au côté du Hamas: pour 34,5% d'entre eux, M. Erdogan devrait rester "neutre", tandis que pour 18% des Turcs, il devrait soutenir les Palestiniens tout en "gardant ses distances" avec le mouvement islamiste.
Y. Rousseau--BTZ