Chez les babouins, c'est du donnant-donnant
Comme les humains, les babouins savent développer des stratégies complexes de "donnant-donnant" pour coopérer avec un partenaire, signe d'une capacité d'adaptation insoupçonnée chez ces singes réputés très sociaux, selon une étude.
La faculté de coopération stratégique est débattue depuis une vingtaine d'années au sein de la communauté scientifique, qui cherche à savoir si seuls les humains la possèdent ou s'ils la partagent avec d'autres primates.
Exemple typique: un élève qui prête ses cours à un camarade de classe espère que ce dernier lui rendra la pareille, une stratégie de réciprocité directe communément appelée "donnant-donnant". Et si le partenaire ne coopère pas, on adapte son comportement.
Pour savoir si les singes en étaient aussi capables, des chercheurs ont mené une expérience sur des babouins de Guinée de la station de primatologie du CNRS de Rousset, près d'Aix-en-Provence, décrite dans la revue Science Advances parue vendredi.
Dix-huit individus avaient accès à des écrans tactiles disposés dans leur enclos: les babouins opéraient par paires et étaient séparés par une plaque transparente, de sorte que chacun pouvait observer le comportement de son voisin.
Les singes, déjà habitués aux écrans pour des taches individuelles, pouvaient choisir librement d'entrer dans un dispositif.
- "Sens du l'intérêt général" -
Quand ils s'y retrouvaient à deux, un individu "donneur" devait choisir entre deux images. L'une lui délivrait une récompense (du blé) à lui seul; l'autre récompensait aussi son voisin "receveur".
Les rôles ont été distribués de manière aléatoire, au cours de près de 250.000 essais sur 95 jours, avec huit babouins - les dix autres n'ont pas pris part à l'expérience faute d'avoir compris la tâche.
Résultat: dans près de 100% des interactions, les primates "sélectionnaient l'image +pro-sociale+ qui récompensait les deux", dit à l'AFP Anthony Formaux, doctorant à l'Université d'Aix-Marseille et premier auteur de l'étude.
Une dynamique de "donnant-donnant" et quasi-systématique, sans stratégie apparente, analyse ce spécialiste de la psychologie animale et de cognition comparée. Sans doute par "sens de l'intérêt général" puisqu'au final, tout le monde y trouvait son compte.
Puis les tests se sont corsés: les babouins donneurs ne recevaient plus rien et devaient choisir entre une image récompensant le receveur, l'autre ne le récompensant pas. Une contrainte qui les a obligés à élaborer une tactique.
"Ne pouvant plus se récompenser eux-mêmes, ils devenaient plus regardants" sur le comportement de leur co-équipier, explique Anthony Formaux. Avec une nette tendance à récompenser leur voisin receveur si ce dernier s'était montré généreux dans son rôle de donneur.
- "Vraiment incroyable!" -
A l'inverse, si un singe n'avait rien reçu de son partenaire "égoïste", il pouvait le punir la fois d'après et quitter le dispositif en quête d'un compagnon plus coopérant.
Une sorte de collaboration flexible, mais pas forcément systématique d'un essai à l'autre. "On l'a observée de temps en temps, comme un petit rappel à l'ordre destiné à contrôler le partenaire et renforcer la coopération".
"C'était vraiment incroyable! Ils arrivaient à adapter leur stratégie en fonction de la difficulté et des +coûts+ qu'on leur imposait", raconte le chercheur, surpris par ces performances. Car les babouins ont beau être une espèce "ultra-sociale" (ils vivent en grand groupe dans la nature), "on s'attendait à quelque chose de trop compliqué pour eux".
Cette faculté de coopération stratégique aurait joué un rôle crucial dans l'évolution humaine, bien qu'on en ignore l'origine. Nous pourrions en avoir "hérité il y a au moins 30 millions d'années de notre ancêtre commun avec le babouin", avance le CNRS dans un communiqué.
Chez les singes vivant à l'état sauvage, des interactions aussi élaborées sont impossibles à observer. Mais le fait qu'elles aient émergé dans un contexte expérimental, au sein d'un enclos où les singes mènent une vie routinière, suggère qu'elles soient apparues chez l'humain "quand il s'est mis à avoir une vie plus installée", avance Anthony Formaux.
L'abandon du nomadisme aurait instauré des interactions plus régulières et nécessité une coopération stratégique "pour attirer et préserver les ressources".
N. Lebedew--BTZ