En Albanie, les châtaigniers ravagés par une guêpe chinoise
Les habitants de Reç, dans le nord de l'Albanie, paniquent. Leur gagne-pain, la châtaigne, est menacé par une micro-guêpe qui empoisonne leur vie et leurs arbres.
Originaire de Chine, le "cynips" du châtaigner s'est disséminé voici quelques décennies en Asie, puis aux Etats-Unis, avant d'atteindre l'Europe au début des années 2000.
Depuis 2020, la bestiole ravage les châtaigniers d'une région montagneuse, pauvre et reculée du nord de l'Albanie, dont la châtaigne est la principale source de revenus.
"C'est notre bête noire, elle tue nos arbres", se lamente Prek Gjeloshaj, cultivateur de 64 ans, montrant les cloques causées par la ponte des larves. Ces excroissances, appelées galles, empêchent la fructification.
"Les dégâts sont partout, les pertes sont vraiment importantes", poursuit-il avec émotion. "Pour nous, chaque arbre qui s’éteint, c'est comme la mort d’un être humain".
Reç compte environ 500 hectares de châtaigneraies qui assurent entre 60 et 70% des revenus de la localité particulièrement touchée par un fléau commun aux Balkans, l'exode de ses habitants.
Selon les experts, la production de châtaignes, vendues pour être grillées, transformées en crème de marron ou en farine, s'est effondrée.
"La production, auparavant de 400 à 600 tonnes par an, a chuté de 80%", dit à l'AFP Rexhep Metaj, agronome de 68 ans.
A Reç, la peur domine et les habitants s'en vont. Il ne reste plus que 100 familles, contre 200 avant l'arrivée de la micro-guêpe ravageuse.
- Guêpe contre guêpe -
Mais comme l'ont fait avec un certain succès d'autres pays comme la France ou l'Italie, l'Albanie s'est tournée vers un prédateur naturel du cynips, une autre guêpe chinoise, la torymus sinensis.
Pour la quatrième année consécutive, les autorités ont lâché à Reç plusieurs milliers de ces insectes qui pondent leurs oeufs sur les larves du cynips.
"Nous sommes déterminés à vaincre le cynips qui entraîne une baisse de la production voire la mortalité des arbres",souligne Irfan Tarelli, directeur général du Ministère albanais de l’Agriculture.
Il faut s'armer de patience et bien caler le cycle de vie de la "bonne" guêpe à celui de l'insecte ravageur, préviennent toutefois les experts.
La bataille des guêpes peut durer car il faut du temps à la torymus pour s'implanter.
Les habitants de Reç n'ont pas vu pour l'instant de résultats probants.
"La maladie non seulement n’est pas freinée mais tout au contraire elle a gagné du terrain", regrette Rexhep Metaj.
Un autre foyer d'infestation par le cynips a été détecté à environ 200 kilomètres de là, à Tropoja, dans le nord-est, près de la frontière avec le Kosovo. Selon Shpend Nikoçi, représentant des castanéiculteurs locaux, le parasite va coûter 6,5 millions d'euros de pertes au secteur. Il faudra en outre attendre mai 2024 pour introduire les torymus dans cette région.
Le ministère de l'Agriculture, qui n'a pas de données globales sur les surfaces affectées, publiera en décembre une première estimation des résultats du combat d'insectes, selon Irfan Tarelli.
D'après les spécialistes, il faut davantage d'études de terrain pour trouver des solutions appropriées à l'Albanie, où 400.000 arbres produisent chaque année entre quatre et six millions de tonnes de châtaignes, dont plus de 25% pour l'exportation.
Mais pour Abdulla Diku, ingénieur des forêts, "la lutte biologique est la seule méthode pour contrer les ravages (du cynips), le contrôler et assurer le retour de l’équilibre naturel des forêts de châtaigniers".
C. Fournier--BTZ