Mexique : le Sénat entame l'examen de la réforme controversée du pouvoir judiciaire
Le Sénat mexicain a commencé mardi l'examen de la réforme controversée du pouvoir judiciaire voulue par le président sortant Andrés Manuel Lopez Obrador, qui génère de fortes tensions avec Washington, premier partenaire commercial du pays, ainsi que des manifestations quotidiennes depuis plusieurs semaines.
La réforme constitutionnelle, qui entre dans la phase finale de son parcours législatif avec le vote des sénateurs, vise à permettre l'élection des juges -y compris ceux de la Cour suprême- et des magistrats par un "vote populaire", une première mondiale qui agite le pays et les investisseurs.
Le chef d'Etat mexicain, qui sera remplacé par la présidente élue Claudia Sheinbaum, issue du même parti, le 1er octobre, soutient que la justice mexicaine est corrompue et ne sert que les intérêts économiques des élites, alors que plus de 90% des crimes sont impunis au Mexique selon les ONG.
Mercredi dernier, le projet de loi a été adopté par les députés de la coalition ultra-majoritaire au pouvoir, dans un gymnase, sous des paniers de basketball, après le blocage de la Chambre basse par des manifestants.
Toute l'attention se porte maintenant sur le Sénat, où il manquerait une voix au parti présidentiel et ses alliés pour adopter la réforme.
Ses opposants, majoritairement des employés de l'administration judiciaire et des étudiants en droit, estiment qu'elle fragilisera l'indépendance des juges et ouvrira la porte au crime organisé.
Des centaines de personnes se sont réunies dans la matinée devant le bâtiment législatif, avec des pancartes et des drapeaux mexicains, pour appeler au rejet de la réforme.
Les partis d'opposition PAN, PRI et le Mouvement Citoyen ont déclaré qu'ils voteraient tous contre. "Nous l'avons déjà dit et nous le répétons : nous nous battrons jusqu'au bout pour empêcher cet outrage à la République et à la démocratie", a écrit la sénatrice du Mouvement Citoyen, Alejandra Barrales.
"La démolition du système judiciaire n'est pas la voie à suivre", a soutenu la présidente de la Cour suprême Norma Piña, dans une vidéo diffusée dimanche sur les réseaux sociaux.
- "Profondes inquiétudes" -
M. Lopez Obrador, qui a souvent critiqué la Haute cour pouconstitueraitr avoir freiné plusieurs de ses réformes, a mis en garde Mme Piña contre une éventuelle tentative de blocage, qui constituerait selon lui une "violation flagrante" de la Constitution.
"Ce qui inquiète le plus ceux qui sont contre cette réforme, c'est qu'ils vont perdre leurs privilèges, car le pouvoir judiciaire est au service des puissants (...) et de la criminalité en col blanc", a déclaré mardi M. Lopez Obrador, dont la popularité avoisine les 70%.
Les Etats-Unis, principaux partenaires commerciaux du Mexique, voient dans la réforme un "risque" pour la démocratie mexicaine et "une menace" pour les relations commerciales bilatérales, alors que le Mexique a supplanté la Chine en tant que premier partenaire commercial de son voisin du Nord.
Selon des experts, les inquiétudes des investisseurs autour de ce projet de loi ont contribué à une forte baisse du peso, qui a atteint la semaine dernière son niveau le plus bas en deux ans par rapport au dollar.
Cela est la conséquence de "facteurs externes", a répondu M. Lopez Obrador lundi. "Il est urgent d'assainir (le système judiciaire) dans l'intérêt de tous, y compris (de ceux) qui investissent au Mexique".
Le gouvernement mexicain a dénoncé une "ingérence" des Etats-Unis dans ses affaires internes et décrété fin août une pause dans la relation avec l'ambassadeur des Etats-Unis au Mexique Ken Salazar, qui a plusieurs fois critiqué publiquement la réforme.
Margaret Satterthwaite, rapporteuse spéciale sur l'indépendance des juges et des avocats des Nations unies, a fait part de son côté de ses "profondes inquiétudes". "En l'absence de garanties solides contre l'infiltration du crime organisé (dans le processus de sélection des juges), un système électoral peut devenir vulnérable à des forces aussi puissantes", a-t-elle dit lundi soir à l'AFP.
N. Nilsson--BTZ